édito

Sécuritaire ou humaniste

d'Lëtzebuerger Land du 16.06.2023

La question migratoire divise les États membres de l’Union européenne depuis le début de la guerre en Syrie, renvoyant dos à dos les arguments de solidarité et de sécurité. La réforme d’une politique migratoire jusqu’ici très peu coordonnée au sein de l’UE est revenue en tête des préoccupations depuis une hausse des arrivées de migrants avec la fin de la pandémie et alors que quatre millions d’Ukrainiens sont réfugiés dans l’UE. La semaine dernière, les ministres de l’Immigration de l’UE ont réussi à trouver un accord, instaurant une base de travail pour aborder la politique d’asile commune. La tendance est à une politique migratoire de plus en plus restrictive, qui reflète les succès électoraux de l’extrême droite dans plusieurs pays.

Le compromis trouvé va dans le sens d’un net durcissement, notamment par une nouvelle procédure aux frontières. Celle-ci prévoit de placer en centres d’accueil strictement contrôlés les personnes les moins susceptibles d’être éligibles à une protection internationale, arrivant de pays considérés comme « sûrs ». Cela suppose la création de centres aux limites extérieures de l’Union. On parle d’y installer jusqu’à 120 000 personnes par an. L’examen accéléré des demandes d’asile – douze semaines maximum – doit permettre de les renvoyer plus facilement vers leur pays d’origine ou de transit. Cet aspect est vivement dénoncé par les associations qui viennent en aide aux demandeurs d’asile. Elles estiment que ces centres s’apparentent à des prisons et que cette politique risque de créer de nouvelles routes migratoires, pour contourner les postes-frontières et éviter la procédure rapide.

Le ministre de l’Immigration et de l’Asile, Jean Asselborn (LSAP), a aussi critiqué les côtés trop répressifs et « non conformes aux valeurs humanistes de l’UE », emboîtant le pas à l’Allemagne (également soutenue par le Portugal et l’Irlande) dans une déclaration commune pour préciser qu’ils continueront de demander une dérogation pour les familles et les enfants lors des négociations avec le Parlement européen. D’un autre côté, ce mardi, la Chambre des députés examinait un projet de loi que le même ministre avait déposé en mai 2022. Il y est question de faire évoluer la loi relative à la protection internationale pour se conformer à deux arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne. Les États membres doivent fixer les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons « non négligeables » de craindre la fuite d’un demandeur de protection internationale qui fait l’objet d’une procédure Dublin (transfert vers un autre État membre de l’Union européenne). L’adjectif « non négligeable » doit signifier un risque imminent et quasi-certain de fuite du demandeur. Neuf situations qui se veulent exhaustives sont décrites dans la loi. Lors du débat, Fernand Kartheiser (ADR) a considéré que le texte n’allait va pas assez loin. Il dénonce une politique laxiste et suggère que le ministère de l’Immigration est trop coulant avec « des personnes qui contreviennent à la loi, par exemple avec des faux documents ». Des allégations qui ont mis le ministre hors de lui.

À l’inverse, plusieurs députés ont estimé que les circonstances décrites sont floues et trop générales. Elles donne aux autorités une plus grande marge de manœuvre pour placer les demandeurs en rétention. « Il apparaît difficile d’estimer si une personne risque de prendre la fuite à partir d’une simple analyse de son comportement », pointe par exemple Nathalie Oberweis (Déi Lénk), citant le Lëtzebuerger Flüchtlingsrot. Dans un communiqué, celui-ci expliquait que cette loi conduit à un affaiblissement de la protection accordée aux demandeurs d’asile, à une augmentation accrue du risque d’être privés de leur liberté et à une baisse des standards luxembourgeois en matière de respect des droits humains.

Au niveau européen, Jean Asselborn apparaît comme un des ministres les plus ouverts, ne manquant pas de rappeler que la qualité de l’Europe est mesurée par « l’humanité qu’elle montre envers les plus vulnérables ». Dans son pays, il opte pour une approche plus sécuritaire.

France Clarinval
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