Raluca Peica n’est pas contente. La directrice des technologies de l’information à la Cour a appris que le Land avait écrit que 800 portables manquaient à l’institution et elle chercherait le traitre qui a sorti l’information ! Raluca Peica n’est pas une femme commode. Son personnel est payé pour le savoir. Pourtant, dire que les fonctionnaires ne sont pas tous équipés de laptops pour travailler de chez eux est une information qui pourrait facilement être rendue publique. Cet équipement, généralisé à tout le personnel, était prévu pour le premier trimestre 2020. Le programme a pris du retard et, avec la crise du covid-19, l’administration a été prise de court. D’après une source, il aurait été prévu ces jours-ci que deux cent autres allaient être livrés. Rien en soi à mettre sous le boisseau. Après tout c’est de l’argent du contribuable. Mais c’est ignorer la culture quasi névrotique du secret qui règne à Cour de justice européenne en général et dans l’informatique en particulier, depuis sa mise en place cataclysmique, il y a une dizaine d’année.
Et le télétravail, c’est de l’informatique. « Dans un sens, si tout le monde n’a pas son laptop, c’est mieux », commente un spécialiste du secteur. Il s’est laissé dire qu’à partir de mille connexions simultanées à la Cour, « ça commence à ramer ». Au début, il y a eu des pics de connexion, du coup c’était très lent. Les utilisateurs semblaient se décourager et se déconnectaient. Il y a quinze jours, le seuil des mille connexions simultanées n’auraient été franchi qu’un seul jour. « Sinon, c’était moins de mille en même temps. Ça voudrait dire que moins de la moitié du personnel de la Cour travaille ! Les ressources humaines préféreraient que les gens prennent des congés ».
Il a aussi entendu parler des pannes occasionnelles des applis « e-Curia » utilisé par les avocats, « Litige », qui est celle utilisée par le greffe et « Suivi », celle des traducteurs. « Au moins quand les applis ne marchent pas , ça fait toujours moins de charge pour les serveurs », ironise-t-il. Dans une communication interne à la Cour du 31 mars, Thierry Lefèvre le directeur général au multilinguisme qui regroupe les traducteurs juristes linguistes, aurait reconnu qu’il lui manquait un bon paquet de portables. Côté congés, le DRH Mark Ronayne a envoyé une lettre à tout son personnel les incitant. à prendre « quelques jours de repos ». Il invoque deux raisons. La première, est psychologique. Une « coupure totale » est conforme « aux recommandations des médecins et du psychologue conseils » pour se reposer avant une reprise d’activité « qui consommera toutes nos forces ». La seconde est administrative : « Dans une situation où ‘nous aurions collectivement cumulé (...) un solde trop important de congés annuels » pour les prendre tous en même temps plus tard, la conséquence serait « difficilement conciliable » avec le statut et avec « l’esprit de solidarité avec les citoyens ».
Les fonctionnaires ont deux jours de congé par mois. À ces 24 jours s’en ajoutent d’autres liés à l’âge, à l’ancienneté et au délai de route, « pour retourner dans mon village », dit l’un d’eux. Un fonctionnaire peut arriver à trente ou trente-cinq jours voire plus par an. Douze jours non pris sont automatiquement reportés l’année suivante, les jours de congés restants peuvent l’être aussi, mais seulement avec l’accord de son supérieur. On ne sait si Mark Ronayne sera écouté. Des vacances en confinement à Luxembourg, c’est bien, mais la plage avec les enfants c’est mieux. Certains ont pris les trois jours précédant le vendredi de Pâques, lequel est jour de congé à la Cour. Enfin, comme remarque une fonctionnaire qui a beaucoup de jours à prendre, « si on les accumule trop sans les prendre, on finira par les perdre ».
Pour ce qui est de sa charge de travail la Cour, là, communique. Il ne faut pas croire qu’elle ne travaille pas et, curieusement, elle a éprouvé le besoin d’en avertir les médias. Depuis sa réforme et les dégâts qu’elle a provoqués – la fameuse « armée mexicaine » de juges dont parlait l’un d’entre eux – la Cour éprouve le besoin constant de se justifier. Elle avait déjà publié sur son site un avis pour les avocats expliquant qu’a part quelques modalités et allongements de délais, c’était business as usual. Quant aux quatre-vingt-neuf membres de la Cour et du Tribunal européens, ils sont en vacances pour quinze jours. À la question de savoir si leur statut diplomatique ou leurs activités extérieures « pré-confinement » leur ont permis ou non d’aller ou de rester dans leur pays d’origine, l’administration qui, soit dit en passant, dépend des juges, refuse catégoriquement de répondre. Avec le confinement, les bâtiments fermés jusqu’au 3 mai et le télétravail, on risque de ne pas en voir certains de sitôt à Luxembourg.