Chroniques de la cour

Sea, sex and law

d'Lëtzebuerger Land du 13.03.2020

Un professeur de droit maritime qui s’est senti « a piece of shit », un juge européen dénoncé par son ancienne maîtresse, un ancien avocat général à l’affût d’une bonne place. Trois parcours. Les deux premiers individus sont slovènes, le troisième, slovaque. Dans l’ambiance feutrée de la diplomatie et de la justice européennes, à Bruxelles et à Luxembourg, ces affaires et leurs conséquences, l’air de rien, sont suivies de très près. Pour rappel : La Slovénie doit trouver deux juges pour le Tribunal européen. La Slovaquie, un. Dans les deux cas, la tâche n’est pas facile.

Marko Pavliha, de l’Université de Ljubljana était tout près du but. La Slovénie l’avait choisi, avec un second candidat dont il sera question plus loin. Deux candidats, deux postes. Tout allait bien jusqu’à ce que le comité 255, ce groupe de juges et d’anciens juges de cours suprêmes chargé de vérifier les compétences des futurs juges, refuse la candidature de Marko Pavliha sur fond de lettre anonyme dénonçant de présumés agissements. La lettre fait le tour des instances européennes. Elle est prise au sérieux. Le comité 255 la mentionne dans son rapport.

Pavliha doit s’expliquer, mais les raisons du rejet de sa candidature sont officiellement autres. Malgré ses capacités juridiques de haut niveau, ses connaissances des grandes questions du droit de l’UE sont insuffisantes. Formule banale et fréquemment reprise dans d’autres cas. Pavliha le prend très mal. « I felt like the accused (...) man, almost a piece of shit », écrira-t-il dans un texte publié sur le site juridique slovène Iusinfo.si. Une version en langue anglaise circule. Dans cette tribune, intitulée Anamnèse d’une candidature, diagnostique et thérapie, il tire à boulet rouge sur tous les intervenants. Cet échec lui est resté en travers de la gorge. Il estime avoir été traité injustement. Visiblement blessé et furieux, il fait référence à Gandhi et à la pécheresse de l’Évangile ! Manque de sang-froid pour les uns, absence de fair-play pour les autres, ces propos sont peu appréciés dans ces sphères d’habitude si discrètes même si certains y trouvent la base d’une réflexion sur la nomination des juges.

Il était évident que son compatriote, Miro Prek, le second candidat, avait toutes les chances de se succéder à lui-même. Juge au tribunal depuis 2006 son passage devant le comité 255 n’était qu’une formalité.  Son ancienne maîtresse, une Italienne, référendaire dans son cabinet, en décide autrement. De son aveu même, elle était bien décidée à faire capoter sa nomination pour un nouveau mandat de six ans. Un peu avant que le parlement slovène ne vote sur sa candidature, elle prévient la télévision publique slovène, confiant à la journaliste des documents destinés à prouver les violences que le juge lui a fait subir. Le lendemain, elle avait rendez-vous avec des représentants de la Cour à qui elle confie photos, vidéos et copie d’une plainte déposée antérieurement auprès de la police luxembourgeoise. La Cour a horreur des scandales. Elle indique du bout des lèvres qu’elle va mener une enquête interne. Sa communication s’arrête là. Elle est soulagée lorsque le Parlement slovène lui refuse sa confiance, à quelques voix près. Trop heureuse aussi d’accepter la demande de Miro Prek qui veut quitter la Cour avant qu’un remplaçant ne soit trouvé. La Slovénie refait un appel à candidature. Trois candidats sont retenus, dont une référendaire à la Cour. Les candidats ne se sont pas ménagés, des coteries se forment, les députés discutent. Le tout dans un climat délétère. Le Parlement devait choisir les deux candidats ce mois-ci. La date du vote ? Réponse d’une diplomate slovène : « Malheureusement les délibérations sur les candidats ont été repoussées dû au changement de gouvernement intervenu récemment. Les commissions parlementaires doivent choisir de nouveaux ministres. Je ne pense pas que les juges seront à l’ordre du jour avant un bon moment ». Remise à plat donc.

Le troisième homme, Jan Mazak, a été avocat général à la Cour en 2006. Il a répondu aux quatre appels à candidature, quatre fois il n’a pas été repris sur la liste des candidats possibles. Avec le gouvernement en place, il n’avait aucune chance d’être retenu. Le 29 février dernier, les élections générales en Slovaquie changent la donne. Les portes du Tribunal lui sont désormais grandes ouvertes. Sauf que… Il aurait appris que le juge Daniel Svaby son compatriote à la Cour - pas au Tribunal - allait démissionner. Les milieux diplomatiques de son pays lui prête l’intention de vouloir patienter un peu. Le jeu en vaut la chandelle. Un poste de juge à la Cour est plus prestigieux, plus avantageux. S’il en était ainsi la Slovaquie devrait trouver un cinquième candidat pour le Tribunal. Ce qui pourrait mettre le comité 255 dans l’embarras et si, comme le pense certains, il avait durci ses conditions, au moins pour un des quatre candidats rejetés, dans l’attente que Bratislava lui envoie Mazak. Un comité 255 au demeurant décapité : Christiaan Timmermans, ancien juge a la Cour, a démissionné de son poste de président, le 27 février dernier, avec effet immédiat.

Dominique Seytre
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