Les activités extérieures des juges ? Vaste programme. Que font-ils lorsqu’ils ne sont pas à leur bureau ? Chaque année, la commission de contrôle budgétaire du Parlement européen envoie des questions à ce sujet à la Cour de justice européenne. Elle a en ligne de mire les multiples allées et venues de ses membres, juges et avocats généraux. Chaque année, la Cour répond. Pour les uns, elle serait passée maître dans l’art de l’esquive et dans la pratique du disque rayé. Pour les autres, elle défend ses intérêts. Pour illustrer le sujet, voici en substance les propos échangés entre les parlementaires et la Cour. Ils sont publiés depuis 2014 sur le site du Parlement dans la rubrique « décharge budgétaire, questionnaire envoyé à la Cour ».
Parlement : « Vous nous dites que pendant les nombreuses semaines sans audience ou arrêt, les juges maintiennent les liens avec les milieux juridiques nationaux. Quel est la base juridique de ces heures de travail dans les États-membres ? Combien de semaines de travail, payées par le contribuable, sont consacrées à ces travaux ? Qu’entendez-vous par « activités secondaires » des juges et du personnel ? Quel est leur l’impact financier ? Elles sont limitées au strict minimum, dites-vous ?
CJUE - Vos questions sont fondées sur un malentendu. Dans l’exercice de ses fonctions, un juge rend des arrêts mais son rôle est aussi de diffuser le droit européen dans tous les États-membres. Il lui faut donner des cours, participer à des colloques, à des séminaires, faire partie de comités éditoriaux, voir les autorités judiciaires, des profs de droit. Bien sûr, ces activités sont limitées au strict minimum et la plus part du temps pendant les semaines sans audience, dites « semaines blanches », ou pendant les vacances.
- Nous avons bien reçu la liste des activités extérieures demandées. Mais qui fait quoi ? Où sont les noms des juges participant aux différentes manifestations ? On veut un aperçu de toutes les activités externes de chaque juge, y compris les conférences, les exposés et autres événements ainsi que leur préparation pendant les heures de travail, et pas seulement les activités officiellement approuvées. On vous demande aussi de nous dévoiler toutes les ressources internes utilisées pour leurs travaux extérieurs telles que les services de traducteurs, de référendaires ou de chauffeurs.
- Combien de fois faut-il vous le dire ? Lorsqu’un juge se déplace, c’est dans l’exercice de son mandat et il participe à des activités d’intérêt européen. Oui, il va diffuser et expliquer le droit européen. Les juges nationaux doivent bien comprendre sinon ils ne l’appliqueront pas bien. Les ressources utilisées ? C’est dans le cadre de leur mandat.
- Les informations sur les activités extérieures de chaque juge devraient être accessibles au grand public. Vous devez les publier sur votre site Internet Curia et dans vos rapports annuels.
- Nous en prenons bonne note. À propos, nous modifions notre code de conduite. Nous vous soumettrons le nouveau texte.
(L’année suivante) - Pouvons-nous, s’il vous plaît, avoir la liste des activités extérieures des juges pour 2015 ? Combien d’heures de travail des juges leur ont été consacrées.
- Vous nous l’avez déjà demandé. Nous venons de remanier notre code de conduite. Les nouvelles règles sont claires. Dans l’exercice de leur mandat, les juges participent à des activités de diffusion du droit européen. La jurisprudence de la Cour doit être appliquée dans chaque pays. Cela signifie qu’elle doit être comprise et connue de tous les juristes dans tous les pays de l’UE. Les juges voyagent pour cela.
- On s’inquiète. Vous surestimez en permanence vos crédits d’engagements.
- Ces dépenses sont par nature difficiles à évaluer. Pour 2019, on a réduit notre demande de crédits pour les missions des membres de la Cour à 300 000 euros.
- Vous venez de publier la liste des activités des juges sur le site Curia pour 2018. Certes, il y a bien le nom des juges, mais cette liste est imprécise quant à l’objet, la date, le lieu et les frais de voyage et de séjour des événements énumérés. Elle ne dit pas s’ils ont été payés par la Cour ou par un tiers. On nous invite à continuer de publier une liste des activités extérieures de ses membres et à être plus spécifique sur ces points.
(L’année suivante, fin 2019) - Quels progrès ont été accomplis dans la formulation de la liste des activités extérieures des membres de la Cour publiée sur le site de la Cour ? Est-ce qu’elle contient maintenant le but, la date et les frais de voyage et de séjour des événements énumérés et s’ils ont été payés par la CJUE ou par un tiers ?
- Pour des questions de sécurité, les dates ne sont pas incluses, certains évènements se répétant chaque année à date fixe (sic). Pour des raisons techniques, les frais de voyage et de séjour ne sont pas mis sur le site mais nous les tenons à votre disposition. »
Sur la défensive, la Cour explique enfin à ceux qui dénoncent les abus du système que la nature spécifique du job d’un juge fait que ses heures de travail ne sont pas ceux d’un fonctionnaire. La liste de 2019 se fait attendre. Celle de 2018, publiée en début février l’année dernière, figure sous l’onglet « Déontologie des Membres ». La nouvelle liste de 2019, à paraître sous peu, relèvera certainement des éléments de comparaison et des données suffisantes pour que le Parlement étudie plus avant le sujet des missions, toujours très controversé et qui mérite qu’on s’y attarde.