Bande dessinée

Une moto pour faire le deuil

d'Lëtzebuerger Land vom 14.07.2023

Franca vient d’avoir 18 ans en cette année 1999. Le millénaire touche à sa fin et la jeune fille vient de se faire tatouer l’année sous son sein gauche ; non pas par crainte du bug de l’an 2000 ou par crainte de fin du monde comme le prédisaient certains pseudo-experts des Mayas et de leur calendrier. Un MCMXCIX décore désormais son buste en hommage à sa mère, décédée cette année-là d’une maladie fulgurante.

« Tout avait commencé par un check-up de routine chez son généraliste et ça avait fini aux soins palliatifs – en trois mois », nous explique le personnage dans une voix off très présente tout au long des 160 pages de l’album. On ne saura rien du géniteur de la jeune fille, on ne saura pas grand-chose non plus de la génitrice disparue. Juste qu’elle habitait à Rome avec sa fille, qu’elle avait une sœur qui habite en Sardaigne, « au fin fond de la Sardaigne » insiste l’héroïne, dans un tout petit village, Carbonia, chez qui Franca vit désormais.

« Je décris les choses comme ça, limite froidement, parce que j’ai déjà trop pleuré », précise la jeune fille dans la première page de l’album. Franca a du mal à faire son deuil, à atténuer la souffrance causée par cette disparition. La jeune femme est au fond du trou. Elle mène à bien sa vie quotidienne, elle fait le nécessaire pour obtenir son bac, elle rêve même de faire des études d’archéologie, à Rome, dans la prestigieuse université de La Sapienza et elle se permet même des après-midis à la plage, mais elle broie du noir. Elle traîne seule, évite toute activité habituelle des jeunes de son âge et refuse toutes les invitations, les soirées, les sorties… Bref, elle s’enfonce peu à peu dans la routine et dans l’ennui.

Carbonia est une petite ville touristique entre mer et montagne. Mais sa principale caractéristique est celle de posséder un important circuit de course où « tout le monde était dingue de moto ». Une passion à son comble au mois d’août à l’occasion d’une coupe amateur annuelle. Clara a bien du mal à comprendre cette ferveur. Pour elle, les motos, « ça casse un peu les oreilles ». Après deux ans chez son oncle et sa tante, elle a réussi à se faire au bruit assourdissant de ces motos sportives. Mais elle n’a toujours pas enfourché un de ces bolides, ne serait-ce qu’en tant que passagère.

L’histoire de sa famille avec ces bécanes n’est d’ailleurs pas très joyeuse, comme on l’apprendra un peu plus loin dans le récit, mais quand le gentil Silvio Infantino tombe sur elle à la plage et lui propose de faire un tour de moto, sans trop savoir pourquoi, elle accepte. Ce sera une révélation. Une passion est née. Car, explique Franca « pour la première fois depuis deux ans, au milieu du tonnerre de bruit et de vent, face à la Méditerranée immense du mois d’août, j’avais cessé de penser à mon chagrin ». C’est décidé, elle va utiliser l’argent de son héritage pour s’acheter une moto ; et pas n’importe laquelle, la plus belle du magasin, une belle Ducati d’un rouge flamboyant.

Une nouvelle vie commence alors pour Franca, la motarde. Une nouvelle vie qui ne va pas plaire aux habitants de Carbonia. Déjà une fille sur une moto, c’est moyen ; une fille qui conduit la moto encore plus et une fille qui s’offre une moto plus puissante que celle de tous les autres jeunes du coin, ça ne passe pas du tout. Voilà qu’on l’affuble du surnom « Motorossa » – moto rouge en italien –, qu’on critique sa conduite, qu’on lui rappelle ses origines romaines et qu’on l’invite de manière fort cavalière à rentrer chez elle. Rien ne viendra perturber la jeune fille qui revit enfin. Même ses performances sur le circuit où, malgré la moto la plus puissante, elle obtient les temps au tour les plus lents.

Ce Motorossa est avant tout un récit sur le deuil, sur la reconstruction, sur le passage à la vie adulte, sur l’importance de se fixer des buts et de les atteindre, sur les rêves, sur l’amour… L’histoire fait preuve de pas mal d’incohérences et de raccourcis : Elle apprend un peu trop facilement à conduire l’engin ; on ne parle pas de passer un permis ; la moto n’est pas détruite alors qu’elle tombe méchamment lors d’un essai… Cependant, le sous-texte est intéressant, évolue et finit même en apothéose.

Reste le dessin, numérique, simplifié au maximum et aux couleurs ternes, avec, là aussi, des incohérences assez flagrantes comme des maillots de bains qui, dans une même scène, changent de forme d’une case à l’autre ou ces objets dont les couleurs varient selon les dessins… Un style fade et inexpressif qui risque de dissuader des lecteurs potentiels.

C’est vraiment dommage car les sujets principaux de l’album sont traités avec tact et que cette histoire de renaissance et d’émancipation de cette jeune femme auraient mérité un travail plus abouti, même dans le cadre d’un premier album.

Motorossa de Jean Aubertin et Adèle Albrespy. Dargaud

Pablo Chimienti
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