Tzeedee

Manifeste de la maturité

Jeff Herr et ses musiciens lors de la présentation du CD Manifesto à Opderschmelz
Foto: Kévin Kroczek
d'Lëtzebuerger Land vom 24.11.2017

C’est une question usée jusqu’à la moelle. Peut-être la moins pertinente qu’on puisse poser à un musicien qui publie un nouveau disque. « Nouvel album, album de la maturité ? ». Il est évident que chaque album pour un musicien représente une évolution, et peut être encore plus pour un jazzman, dans la mesure où c’est une musique où trônent les évolutions d’ordre technique. Jeff Herr, batteur luxembourgeois né en 1980, a dévoilé son nouvel opus lors d’une soirée de présentation à Opderschmelz à Dudelange le 15 novembre dernier. Ce nouveau disque, Manifesto, paru chez Igloo Records, c’est aussi celui de sa formation, la Jeff Herr Corporation. Composé du batteur leader, de Maxime Bender au saxophone et de Laurent Payfert à la contrebasse, le trio de base livre donc une suite à Layer cake paru en 2014, déjà sur le même label.

Le parcours de Jeff Herr est plutôt classique, mais sa musique l’est beaucoup moins. Diplômé de solfège, il a suivi un parcours universitaire à Maastricht. Après la création de plusieurs formations musicales et la participation à de nombreux projets en tant que sideman, il a publié deux premiers disques paru Chez WPR Records (label jazz luxembourgeois qui rayonnait encore il y a une dizaine d’années). Parcours classique donc, a contrario d’une musique résolument complexe mais attachante. « Elle est honnête et sincère », selon Jeff Herr. « Je n’ai pas pour but d’appartenir au mainstream, et l’avantage avec le musique jazz c’est qu’elle présente moins de restriction que la chanson pop ». Toujours est-il que le disque oscille entre pièces aux allures avant-gardistes assez difficiles d’accès et pépites aux accents groove à souhait.

Durant son concert à Dudelange, la Corporation enchaîne donc les titres de l’album, dans l’ordre. Les musiciens débutent ainsi par Dream driven, une introduction où ils jouent à l’unisson. C’est encore assez sage, néanmoins le morceau suivant, On my own, électrise la salle. Pour les besoins du morceau, Greg Lamy monte sur scène. Sur le disque c’est la guitare d’Adam Rogers qui est présente sur trois titres. Après une introduction envoûtante où la salle est plongée dans l’obscurité presque totale, le saxophone de Maxime Bender retentit enfin. Crescendo et explosion étonnante, refrain instrumental aux connotations J-pop. La guitare aiguë offre des senteurs de surf music, un des meilleurs titres du disque assurément. S’enchaînent Resistance, Merry-go-round et Love Charlatan. Le temps s’arrête lorsque Laurent Payfert exécute un long solo fabuleux. Ambiance à moitié orientale où l’empreinte de Gustavo Santaolalla se fait ressentir. De la clarinette, des hurlements de saxophone et des démonstrations de force s’ensuivent, en clair, ça bouge. « Ma musique n’est pas une musique de fond qu’on écoute entre amis autour d’une bouteille de vin, style bossa nova, on l’écoute à fond la caisse dans la voiture », affirme encore Jeff Herr.

Lata Gouveia monte sur scène pour le prochain morceau, une reprise de Same girl de Randy Newman. Le chanteur chapeau vissé, long manteau sombre et grosse écharpe semble ailleurs. Ambiance mystérieuse et inquiétante où la voix grave du chanteur dénote avec celle de la version originale, une bluette amoureuse. Jolie solo à la clarinette, le chanteur quitte la scène en murmurant de manière détachée. Greg Lamy remonte sur scène pour les deux derniers titres Moon glow et l’éponyme Manifesto. Un manifeste à quoi d’ailleurs ? Au temps qui passe, à l’évolution. « Cet album évoque le fait de devenir adulte, savoir assumer les actions et les conséquences. Je me suis nourri des relations humaines. Durant la trentaine, on vit forcément des soucis, avec les amis, les femmes, des pertes de proches ». Il nous tend la perche, on est forcés, « album de la maturité ? », à vous de deviner la réponse. En tout cas album honnête et rythmé.

De nombreux concerts à travers le grand-duché sont prévus pour le mois de décembre. Plus d’informations sur : jeff-herr.com, musiclx.lu et igloorecords.be.

Kévin Kroczek
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