Exposition

La couleur surpasse le tableau

d'Lëtzebuerger Land vom 16.09.2022

L’espace de la Moderne Galerie du Saarlandmuseum spécialement aménagé pour accueillir les nouveaux formats de l’art contemporain et des œuvres immersives, invitait Katharina Grosse à investir ses cimaises. L’artiste allemande est née à Fribourg-en-Brisgau en 1961. Elle vit et travaille à Berlin et en Nouvelle-Zélande. Depuis la fin des années 1990, elle réinvente le support pictural en investissant directement l’architecture des institutions qui l’accueillent. Plus récemment elle a élargi son champ d’expression en peignant sur des draps tendus ou en imprimant des photographies sur tissus dans une fascinante mise en abîme de sa pratique.

Une impression persistante de voiles dansant, des voiles que la couleur attache et désagrège tout autant transpire de l’espace monumental de la Moderne Galerie où les tableaux de Katharina Grosse se découvrent, progressivement, au spectateur. Le support n’est pas celui du châssis traditionnel, l’artiste allemande s’attache à le dépasser. Les formats ne sont pas tout à fait identiques même si les œuvres, assez grandes, permettent au regardeur de rentrer dans le tableau à l’instar de ceux de Joan Mitchell. Pourtant l’impression qui naît est très différente : Grosse s’échappe, par la couleur, d’un expressionnisme abstrait pollockien. Là où Mitchell s’empare de la couleur sur la toile, la couleur échappe chez Grosse. Elle est au-dedans et au dehors de la toile. Elle est à l’intérieur pour les œuvres immersives, dans lesquelles les spectateurs peuvent rentrer. Ainsi Katharina Grosse a-t-elle transformé la salle historique du Hamburger Bahnhof – Museum für Gegenwart à Berlin, une ancienne gare réaffectée en musée d’art contemporain, ainsi que l’espace extérieur derrière le bâtiment en une vaste peinture qui déstabilise radicalement l’ordre existant de l’architecture du musée.

Dans l’exposition Katharina Grosse Wolke in Form eines Schwertes, au travers de la couleur et de ses différents supports, la forme s’arrime aussi au tableau tout autant qu’elle peut dériver. Elle s’arrime à l’image de ces branches d’arbres dépassant du tableau : dialectique de l’intérieur et de l’extérieur. Puis elle dérive, à l’image de ces carcasses de bateaux échouées que l’on aperçoit dans les cimetières marins. La forme dérivant interagit avec l’espace, celui que l’artiste, par la couleur, transforme. Katharina Grosse investit aussi bien le cadre plus institutionnel d’un musée que celui du programme Mural Arts Philadelphia (2014), réfléchissant à la forme, toujours. L’artiste a également signé les œuvres Rockaway pour le programme éponyme du MoMA PS1 à Fort-Tilden aux États-Unis en 2016 et a signé Mural: Jackson Pollock I au Museum of Fine Arts de Boston. Le musée propose également une belle redécouverte des travaux d’une autre artiste allemande : Monika Von Boch.

De ses photographies noir et blanc de la grève et de la mer transparaissent une indéniable poésie. La mer s’y étire et s’y retire, se repose avant de gonfler à nouveau son écume dormante. L’exposition Elemente offre une belle mise en perspective des travaux de l’artiste, à redécouvrir, avec les travaux de Max Beckmann, Joachim Lischke, Otto Steinert et Hans-Christian Schink. Entre grève désertée et attention à la lumière du jour traversante, les photographies de ce dernier produisent une indéniable poésie surréaliste. Un surréel qui résume bien ces expositions où, de la couleur surpassant le tableau, une grève incandescente avance.

Florence Lhote
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