Libéralisation des télécommunications

Acte II, scène première

d'Lëtzebuerger Land vom 24.09.1998

Lors de l'attribution de la deuxième licence luxembourgeoise de téléphonie mobile à Millicom Luxembourg s.a., en octobre 1997, certains pessimistes doutaient que les tarifs GSM allaient vraiment baisser. Le nouveau venu était, en effet, une vieille connaissance du monopoliste, l'Entreprise des Postes et Télécommunications (EPT), puisqu'ils se partageaient depuis des années le capital de Mobilux s.a., un des fournisseurs de services qui commercialisent le réseau LuxGSM de l'EPT. Fin mars, lors du lancement de son réseau Tango, Millicom a néanmoins établi ses tarifs clairement en dessous de ceux de son concurrent. 

L'offre la plus surprenante était, sans doute, la formule Hip-Hop, un abonnement sans coûts fixes. LuxGSM ne s'est pas fait prier pour la riposte et a, à son tour, fixé ses tarifs en dessous de ceux de Tango. La réaction inévitable de ces derniers a été annoncée mardi dernier. Le consommateur ne s'en plaindra pas. En quelques mois, le coût d'une minute de communication aux heures de pointe avec un abonnement d'environ 500 francs sera passé de trente à (sur le réseau Tango) neuf francs.

La bataille ne devrait cependant pas trop s'accélérer. D'abord à cause de la législation sur les réseaux GSM, qui prévoit une période de deux mois entre la communication de nouveaux tarifs à l'Institut luxembourgeois de Télécommunications (ILT) et leur entrée en vigueur. Puis, parce que ni Tango, qui a entre-temps investi 1,9 milliards de francs, ni LuxGSM ont intérêt à ce que les prix s'effondrent de trop. À l'EPT donc de décider si elle baissera encore ses tarifs ou si elle préfère miser sur les avantages de son réseau qui, pour l'instant, offre toujours une meilleure couverture que son concurrent. C'est vrai au Luxembourg mais aussi à l'étranger. Tango a dû accepter certains délais dans la conclusion d'accords de roaming, qui permettent à l'utilisateur d'un GSM de téléphoner à l'étranger, et n'est actuellement présent qu'en 26 pays contre 53 pour LuxGSM. Ce qui est d'autant plus agaçant pour Millicom que les revenus du roaming représentent une part «appréciable» du chiffre d'affaires d'un réseau GSM au Luxembourg, selon Marcel Gross de l'EPT. Celle-ci pourrait donc différer sa riposte en attendant que Tango ait rattrapé ces retards.

D'autant plus que Millicom ne mène pour l'instant pas de guerre tous azimuts, mais semble au contraire suivre une stratégie plus réfléchie. Les fournisseurs de service de LuxGSM vendent, par exemple, les téléphones portables en dessous de leur valeur véritable. Leur but est d'attirer le client grâce à un prix d'entrée peu élevé et de miser sur la rentabilité du contrat à plus long terme grâce à des clauses spéciales liant le client pour une voire deux années à eux. Chez Tango, on préfère vendre les appareils à leur prix réel en espérant de convaincre les clients grâce à des tarifs de communication moins élevés. 

Cette approche permet aussi d'attirer plus facilement les clients de LuxGSM, qui possèdent déjà un GSM, vers le nouveau réseau. Les opérateurs de téléphonie mobile s'attaqueront cependant surtout aux nouveaux clients. Aujourd'hui, après plusieurs corrections à la hausse des estimations, on croit que le GSM atteindra un taux de pénétration de 40 à 50 pour cent dès l'an 2000. C'est-à-dire que, frontaliers inclus, LuxGSM et Tango se partageront alors quelque 240 000 clients.

Pour l'instant, il reste difficile à quantifier le nombre de clients à avoir quitté LuxGSM pour son concurrent. Tango compte après quatre mois d'activité 25 000 clients. Le double de ce que Millicom visait pour la fin de l'année. LuxGSM n'a cependant, en chiffres absolus, pas perdu de clients pendant cette période, au contraire. Les nombre de ses abonnés dépasse aujourd'hui 80 000, contre 68 000 en janvier. Il s'agit pour la plupart de clients des fournisseurs de services CMD (avec plus de 35 000) et Mobilux (qui s'approche des 34 000), aujourd'hui une filiale à 100 pour cent de l'EPT. Il est toutefois permis de douter que le Luxembourg compte effectivement déjà 105 000 détenteurs d'un GSM. Il y aurait plutôt un certain nombre de personnes («beaucoup», selon Jean-Claude Bintz) à être client chez les deux opérateurs en même temps. Ceci est dû aux conditions de l'offre promotionnelle de lancement de Tango qui ne viendra qu'à échéance en janvier.

Le nombre d'abonnés n'est d'ailleurs qu'un indicateur du succès d'un réseau, puisque la plupart des utilisateurs d'un GSM ne l'utilisent que très peu. Chez Tango on s'attend, par exemple, que seulement 5 pour cent des clients choisiront le tarif professionnel contre 50 pour cent pour l'abonnement sans coûts fixes. Or, surtout les utilisateurs professionnels intéressent les opérateurs. Et en baissant considérablement ses tarifs internationaux (de nouveau en dessous de ceux de l'EPT), Tango vient de se recommander chaudement à cette clientèle courtisée.

Les critères de décision pour un réseau de GSM ou un fournisseur de services ne devraient cependant pas se limiter aux seuls prix mis en évidence dans les publicités. Les conditions précises varient d'un revendeur à l'autre. Il y a d'abord les services supplémentaires dont les prix peuvent varier. Puis, il y a le «principe d'arrondissement» des communications. La facturation peut se faire par minute pleine, par unités de quinze secondes ou à la seconde près. Tout dépend de l'abonnement. Enfin, il y a la durée exacte des heures de pointe. Les heures creuses s'étendent ainsi chez Mobilux et l'EPT de 19 à 8 heures, chez Tango de 19 à 7 heures, alors qu'elles vont chez CMD seulement de 19h30 à 6h29. L'influence de ces différents facteurs sur la facture en fin du mois peut être considérable.

Les publicités annonçant les dernières baisses de prix se bousculent ces jours-ci dans la presse et les médias audiovisuels. Or, pas tous les prix sont concernés. Un appel d'un téléphone fixe vers un GSM coûte ainsi, en soirée, le double d'un appel d'un portable vers le réseau traditionnel. La plupart des abonnements GSM permettent de téléphoner le soir à partir de cinq francs la minute, alors que l'EPT facture pour un appel vers Tango ou LuxGSM dix francs après dix-neuf heures et quinze francs en heures de pointe.

L'impression domine, que ce sont en premier lieu les utilisateurs du réseau traditionnel qui paient pour ceux des réseaux cellulaires. D'autant plus que la majorité des détenteurs d'un téléphone mobile veulent surtout «être joignable». Le succès de la formule Hip-Hop de chez Tango en est l'illustration. Les prix des appels du réseau fixe vers les GSM font l'objet d'une enquête de la Commission européenne. Le Luxembourg n'est cependant pas concerné puisque les tarifs de l'EPT sont dans la moyenne communautaire, qui s'élève à 16,33 et 9,1 francs la minute.

Il n'en est pas moins qu'en principe, une communication passant du réseau fixe vers le mobile n'entraîne pas plus de coûts qu'un appel d'un GSM vers un appareil traditionnel. Et pour les communications allant de Tango vers le réseau fixe de l'EPT, Millicom paie, selon un premier accord provisoire entre les deux sociétés, 0,825 francs la minute aux heures de pointe. Ce prix est calculé sur base des coûts réels de l'EPT selon des règles précisées au niveau communautaire et dont le respect est contrôlé au Luxembourg par l'ILT. Les tarifs GSM résultent donc de l'addition de ce prix d'interconnexion, des coûts propres aux réseaux cellulaires et de la marge bénéficiaire. Et afin d'attirer les clients, ces prix sont calculés, chez LuxGSM comme chez Tango, au plus prêts. 

Les prix pour appeler un GSM d'un téléphone du réseau fixe résultent d'un accord commercial entre Millicom et l'EPT dans lequel les deux sociétés retrouvent leur compte. Ces prix n'ont pour leur part aucune influence sur le choix du consommateur et restent par conséquent à un niveau élevé. En attendant une hypothétique directive communautaire, l'ILT ne dispose pas d'autorité légale pour intervenir. La répartition entre l'EPT et Millicom des revenus générés par les appels du réseau fixe vers les GSM est secrète. Le même constat vaut pour les appels entre un abonné LuxGSM et un autre de chez Tango (ou l'inverse). Seule indication disponible: en facturant les appels vers LuxGSM de l'abonnement Swing à cinq francs aux heures de pointes, Tango opérerait à perte. Les tarifs appliqués par LuxGSM sont d'ailleurs de 15 francs en journée et de 10 francs aux heures creuses.

Ces prix seront probablement bientôt bousculés. Jean-Claude Bintz a annoncé mardi dernier, au nom de la Société européenne de Communication s.a., la maison mère de Millicom Luxembourg, que la société Tele2 Luxembourg s.a. introduira ces jours-ci une demande auprès de l'ILT pour une licence de téléphonie fixe. La libéralisation complète des télécommunications accuse cependant un léger retard au Luxembourg. Le gouvernement n'a toujours pas adopté tous les règlements grand-ducaux nécessaires et l'EPT n'a pas encore publié ses «conditions générales de fourniture de réseaux ouverts» qui sera la base de tout accord d'interconnection entre le réseau de l'entreprise publique et les nouveaux arrivés. Tele2 espère néanmoins de disposer d'une licence avant Noël.

Avec l'annonce faite par Tele2, la libéralisation des télécommunications commence en fait avec une surprise agréable pour les ménages luxembourgeois. Les experts craignaient que dans un premier temps, la concurrence permettrait aux seules entreprises d'une certaine taille à profiter de communications moins onéreuses. L'offre de Tele2 s'adressera cependant aussi bien aux PME qu'aux particuliers. En utilisant le réseau de l'EPT, mais aussi celui de Tango, au Luxembourg et le réseau transeuropéen de Tele2 Europe au niveau international, Tele2 confrontera l'EPT en premier lieu sur les tarifs des communications internationales. On peut cependant aussi s'attendre à ce que les communications du réseau fixe vers les GSM deviendront alors moins chères. 

Tele2 Europe offre aujourd'hui ses services en Allemagne et aux Pays-Bas, et prévoit à moyen terme d'être présent dans une douzaine de pays européens. Une fois qu'une licence sera accordée par l'ILT, Tele2 pourrait entrer très rapidement sur le marché luxembourgeois. Jusqu'à présent, leurs services étaient toujours opérationnels en moins de dix semaines après l'autorisation.

Jean-Lou Siweck
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