Les pouvoirs politiques tentent de concilier impératifs constitutionnels et règles sanitaires

Un marathon à la vitesse d’un sprint

d'Lëtzebuerger Land du 03.04.2020

Le président fait la ronde Fernand Etgen (DP) a la bonhomie de ceux qui ne se prennent pas trop au sérieux, malgré le fait que la présidence du premier pouvoir du pays a motivé certains de ses prédécesseurs à se faire appeler « premier citoyen du pays ». Lui vient du Luxembourg rural, de la commune de Feulen, dont il fut mandataire communal pendant plus de trente ans, dont une vingtaine comme bourgmestre. Etgen siège au Parlement depuis 2007, avec une excursion au gouvernement durant la précédente législature, où il assuma la responsabilité de plusieurs petits ministères, comme l’Agriculture et la Viticulture, la Protection des consommateurs ou les Relations avec le Parlement. Quand il faut improviser, mettre la main à la pâte pour trouver des solutions aux contraintes du moment, il n’est pas du genre à ce défiler, mais assume – avec toujours ce petit sourire narquois sur les lèvres.

Concrètement, il s’agissait cette semaine, en séance plénière de la Chambre, de trouver une réponse pratique à la gestion de l’article 61 de la Constitution selon lequel « les séances de la Chambre sont publiques ». Or, les mesures de confinement décrétées par règlement grand-ducal le 18 mars ont imposé la fermeture des tribunes au public. Celles de distanciation sociale formulées par le gouvernement demandent que les députés gardent une certaine distance entre eux pour siéger. Les élus ont donc été installés en respectant à chaque fois deux sièges vides, certains – comme Claude Wiseler (CSV) ou Mars Di Bartolomeo (LSAP) mardi – se retrouvant alors sur les bancs normalement réservés au gouvernement, d’autres dans les tribunes et encore d’autres dans deux salles de réunion où siègent habituellement les commissions parlementaires. Toutes ces salles sont désormais connectées par des équipements audiovisuels, permettant au grand public (via Chamber.TV), mais aussi aux députés de voir et d’entendre ce qui s’y passe. Or, l’article 47.2 du règlement de la Chambre impose que « le vote de l’ensemble des lois a toujours lieu par appel nominal » – comment faire, en pratique ? Dans l’idéal sans commencer à bidouiller en urgence le règlement de la Chambre.

Samedi 21 mars, lors du vote de la loi prorogeant pour une durée de trois mois maximum l’état de crise décrété par le gouvernement trois jours plus tôt, les députés siégeant dans les autres salles avaient été appelés à tour de rôle en salle plénière pour exprimer à voix haute leur approbation (ou leur éventuelle désapprobation ; il n’y en eut aucune). La procédure était longue et fastidieuse. Cette semaine, Fernand Etgen donc prit une urne avec les noms des députés par salle, et se déplaça de lieu en lieu, accompagné du personnel du secrétariat, pour entendre et comptabiliser les votes sur les lois et les motions pour lesquelles au moins cinq membres du Parlement demandent le vote nominal (ce fut par exemple le cas pour celle de Fernand Kartheiser, ADR, s’opposant à la création de coronabonds ; elle fut rejetée par tous les autres partis).

De Salon vun der Stad « Cette crise a besoin de vitesse de réaction, affirma Fernand Etgen en ouverture de séance mardi, mais elle pourrait s’avérer un marathon. Il nous faudra de l’endurance ». Ce lundi, la conférence des présidents du Parlement et le gouvernement se sont donc concertés, comme les deux pouvoirs le font chaque semaine en ce moment, et il a été décidé de trouver une solution plus pratique et plus égalitaire (permettant à tous les députés de s’impliquer dans le débat) : d’ici au plus tard la fin des vacances de Pâques, le Parlement déménagera dans la grande salle de bal du Cercle-Cité, à quelques centaines de mètres à pied de l’actuel bâtiment. Après l’étude de plusieurs autres possibilités, notamment le centre de conférences européen au Kirchberg, cette solution a été retenue pour sa proximité avec le siège et sa taille : la grande salle permettra sans problème d’accueillir les soixante députés tout en respectant une distance de deux mètres entre eux. Les équipements techniques, notamment la vidéo pour la rediffusion à la télévision, sont en train d’être installés. La Ville de Luxembourg a invité le Parlement dans ce que la députée-maire Lydie Polfer (DP) aime à appeler « de Salon vun der Stad » ; et ce dans un esprit des plus démocratiques, sans demander de loyer.

Quasi tout le personnel administratif du Parlement, une centaine de personnes, est en télétravail actuellement, y compris son secrétaire général Laurent Scheeck, pour lequel le défi logistique est l’épreuve du feu : il n’a repris le poste de Claude Frieseisen qu’en début du mois de mars. Comme les fonctionnaires, les députés qui se concilient sur des mesures proposées par le gouvernement dans le cadre notamment de l’état de crise et de la lutte contre le Covid-19 et ses conséquences sur l’économie, peuvent désormais le faire via visioconférence. Le week-end dernier, le CSV, frustré de ne pas être au fait des informations sur le coronavirus, a provoqué l’ire du grand public en demandant la convocation de cinq commissions différentes, soulignant expressément que la présence physique des ministres en charge des dossiers (agriculture, éducation nationale, sécurité sociale, famille et intégration, travail et emploi…) était incontournable. L’incompréhension des citoyens, priés de réduire le contact avec l’extérieur à un minimum, fut si virulente que désormais, la visioconférence est la norme (même si, comme pour tous ceux qui télétravaillent actuellement, il y a d’incontournables pépins techniques).

Ne pas baisser la garde Si le recours à l’article 32.4 de la Constitution permet au gouvernement de prendre les décisions nécessaires pour réagir à la crise « après avoir constaté l’urgence résultant de l’impossibilité de la Chambre des Députés de légiférer dans les délais appropriés » (tout en précisant que la Chambre ne peut être dissoute), le Parlement et le Conseil d’État ont l’ambition de, justement, être en mesure d’assumer leur rôle politique. Le projet de loi prorogeant l’état de crise passa les instances en trois jours, y compris un avis du Conseil d’État au lendemain de son dépôt ; le texte libérant les 300 millions d’euros pour réagir à l’urgence économique mit deux semaines, entre les amendements gouvernementaux, l’aval de la Commission européenne, l’avis du Conseil d’État et le vote unanime au Parlement ce mardi. Il entrera définitivement en vigueur après la dispense du second vote constitutionnel que donnera le Conseil d’État ce vendredi, 3 avril, puis sa publication au Mémorial.

Rue Sigefroi, le siège du Conseil d’État est en ce moment aussi désert que celui du Marché-aux-Herbes, et ce bien que la haute corporation continue elle aussi son travail législatif : le calendrier abonde de séances plénières, mais le travail se fait là aussi par voie électronique : échanges de documents et d’avis par courriels, visioconférences pour les séances des commissions, personnel en télétravail. Selon le règlement grand-ducal sur l’état de crise, les votes électroniques sont possibles (comme par exemple pour les conseils communaux), mais il y a une exception, où la présence physique est nécessaire. L’article 59 de la Constitution impose que la dispense du second vote se décide en séance publique. Donc ce vendredi, une majorité d’au moins douze des 21 conseillers d’État devra se déplacer pour avaliser officiellement des dispenses du second vote.

josée hansen
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