Le récit date du monde d’avant, celui d’avant le Covid-19 qui a chamboulé la vie de quasiment toute la population mondiale. Mais, hasard des calendriers de publication, la série de bandes dessinées de Denis Lapière, Pierre-Paul Renders et Adrian Huelva est sortie en pleine pandémie. Ce faisant, U4, uchronie post-apocalyptique, a pris une toute autre envergure, passant de la simple fiction à une possibilité finalement tout à fait plausible.
Comme lors de la sortie des romans d’Yves Grevet, Florence Hinckel, Carole Trébor et Vincent Villeminot parus en 2015, les quatre premier tomes de la série dessinée sont sortis simultanément, en janvier. Les quatre tomes, qui portent chacun le nom d’un des protagonistes – Koridwen, Jules, Stéphane et Yannis – n’ont pas d’ordre de lecture défini. Chaque lecteur peut donc les découvrir dans l’ordre de son choix, selon le hasard ou son envie personnelle, ce qui donne un total de 24 expériences de lectures différentes pour un seul et même récit. Plus peut-être, la lecture progressive des albums donne régulièrement envie de revenir brièvement en arrière dans son propre ordre de lecture et de reprendre, pour quelques pages, un album précédemment terminé.
24 expériences, quatre récits personnels, mais une seule histoire globale. Un filovirus a fuité d’un laboratoire d’Utretch, au Pays-Bas, d’où son nom, U4. Sa prévalence est de 82 pour cent et à son taux de mortalité de 98 pour cent. La catastrophe est absolue. La population mondiale est décimée. Les cadavres jonchent les rues, d’abord aux quatre coin des Pays-Bas, puis du Vieux continent enfin du reste du monde. Rares sont les enfants ou les adultes qui vont survivre à cette pandémie. En revanche, par contre les jeunes entre quinze et 18 ans, sont visiblement épargnés par cette vague mortifère, sans que personne ne sache vraiment pourquoi.
En France, parmi les adultes survivants – souvent des puissants, des militaires et des scientifiques, mis rapidement à l’écart, par les autorités dès les premières informations sur le virus reçues –, on cherche à comprendre ce qui fait que cette frange très spécifique de la population a été épargnée. Rapidement les recherches se concentrent sur deux vaccins : un contre les méningocoques A et C administrés depuis quatre ans à tous les jeunes de quinze ans et un autre contre la méningite B utilisé pendant trois ans auprès des enfants de onze ans, mais retiré depuis du marché en raison d’effets secondaires indésirables. Un de ceux deux vaccins devrait être la solution, mais les certitudes sont longues à trouver.
Entretemps, hors de ces laboratoires ultra-sécurisés aussi bien au niveau vaccinal que militaire, les adolescents survivants tentent recréer des ersatz de société. Certains mettront en place des gangs ultra-violents, d’autres accepteront de prendre place dans un des nombreux camps mis en place par les instances militaires, d’autres mettront en place des communautés plus ou moins grandes pour s’entraider. D’autres enfin, tous adeptes du jeu vidéo Warriors of Time (WoT), vont tenter de gagner du temps en attendant de rejoindre la Tour de l’Horloge sur l’Île de la Cité à Paris, le 24 décembre à minuit. C’est là que leur a donné rendez-vous le mystérieux Khronos, le maître du jeu de WoT.
Koridwen la Bretonne, Jules le Parisien, Stéphane la Lyonnaise et Yannis le Marseillais font partie de ceux-là. Comme la plupart des joueurs en ligne, ils ne se sont connaissent pas, autrement que par leurs avatars. Chacun va néanmoins prendre son destin en main et, malgré les dangers omniprésents et les militaires qui essayent de réunir tous les survivants sous leur commandement unique, vont se rejoindre dans la capitale pour être au rendez-vous de Khronos. Dans les quatre premiers tomes, les quatre personnages ne feront que s’entrecroiser, se perdre de vue, se recroiser… chacun suivant son propre chemin et son objectif personnel. Dans le cinquième et dernier opus, Khronos, sorti, lui en mai, ils vont enfin de rencontrer et cheminer ensemble vers un destin commun.
Clairement destiné à un lectorat adolescent, reprenant toute une panoplie des sujets chers aux teenagers : l’amitié, l’amour, la justice, les premières fois…, U4, demeure une lecture agréable pour les amateurs de bandes dessinées ayant atteint l’âge adulte. Le récit propose des rebondissement intéressants, des personnages complexes, sans manichéisme ni angélisme et un rythme soutenu. Le tout dans un dessin semi-réaliste mélangeant les styles et une couleur très présente et changeante selon les scènes, les décors et les ambiances. Un sacré boulot et un récit qui nous fait finalement dire que la pandémie que nous avons connu ces dernières années, aurait finalement pu être bien pire.