Bande dessinée

Entre teen movie et récit d’espionnage

d'Lëtzebuerger Land du 12.08.2022

Les éditions Casterman sortent, ce mercredi 17 août, la version française du premier roman graphique de Sophia Glock, Passeport. Un récit biographique étonnant d’une jeune fille Américaine qui a grandi dans différents pays d’Amérique centrale au rythme des mutations de ses parents on ne peut plus secrets.

Il n’est pas rare de lire une bande dessinée qui commence par une introduction ou une préface. Il est par contre étonnant de lire un roman graphique qui commence par une annonce comme celle-ci. « Les faits, points de vue et analyses exprimés dans cet ouvrage n’engagent que l’autrice et ne reflète ni la position ni l’opinion officielles du gouvernement des États-Unis d’Amérique. Rien dans ces pages ne saurait être interprété comme l’expression de l’approbation ou du soutien du gouvernement des États-Unis envers les idées de l’auteur ». Wow ! De quoi s’agit-il ? Une enquête exclusive sur l’assassinat de Kennedy ? Des révélations fracassantes sur le 11 Septembre ? De nouvelles informations sur l’implication de Donald Trump dans l’assaut du Capitole ?

Rien de tout cela dans le premier album de Sophia Glock, dessinatrice régulièrement publiée dans le New Yorker, Buzzfeed ou encore Time out New York. Bien au contraire, la jeune autrice ne raconte rien d’autre que son histoire, l’histoire de son adolescence. Autrement dit, ses années de lycée. Celles des révoltes adolescentes, des premières sorties, des premières amours… le tout entrecoupé par quelques heures de cours, quelques devoirs et quelques punitions imposées par ces imbéciles de parents ou de professeurs. Sophia est une jeune fille tout ce qu’il y a de plus normal. Certes, elle se démarque un peu par sa grande taille, mais pour le reste, c’est une adolescente standard. Elle est un peu timide, mais qui arrive à se faire des amis ; plutôt bonne en classe, pas spécialement jolie, donc pas détestée par les autres filles, ni spécialement laide, ce qui aide à se faire apprécier par les garçons.

Une adolescence sans histoire on a presque envie de dire. On ne peut pas vraiment en dire autant de sa famille et tout particulièrement de ses parents. « Je déménage souvent », nous dit Sophia dès la première case du récit, « Quand on me demande pourquoi… Je ne sais jamais quoi répondre. Je n’ai jamais vécu assez longtemps quelque part pour m’en réclamer ». L’autrice donnera à ses lecteurs quelques autres informations, vagues, elle est née aux États-Unis, elle possède le passeport bleu de la première puissance mondiale et elle vit en Amérique centrale. Une région qu’elle dessine vallonnée et verdoyante. Dans quel pays, dans quelle ville se déroule l’histoire ? On ne le saura jamais vraiment.

L’autrice reste volontairement imprécise sur ce point, ce n’est pas le sujet. De toute façon la jeune fille a déjà vécu dans neuf appartements, fréquenté huit écoles, connu sept uniformes et cela dans six pays différents. Ce qui n’est pas sans soulever quelques interrogations : « Si je ne suis pas d’ici, qu’est-ce que je fais là ? » demande-t-elle de manière rhétorique. Elle poursuit : « J’habite ici parce que mes parents ont été mutés. Même si je ne sais pas trop ce que ça veut dire ». Quand on lui demande d’où elle vient, elle répond simplement « D’Amérique », et si on lui demande ce que fait son père elle répond : « Et le tien, il fait quoi ? » et si quelqu’un pose trop de questions, elle change de sujet. Un réflexe qu’elle tient de ses parents.

Certes, la violence endémique de certains pays d’Amérique centrale pourrait expliquer à elle seule cette méfiance. Elle pourrait expliquer aussi le refus parental quand Sophia demande d’aller au lycée à pied ou que toute la famille vive toujours dans des maisons barricadées, avec agents de sécurité armés, des hauts murs, des barbelés, une panic room ou encore des grilles anti-viol. Car il est rapidement évident que les parents de Sophia cachent quelque chose. Voire plusieurs choses ! Leurs métiers, les raisons de leurs nombreux déménagements, le détachement qu’ils maintiennent vis-à-vis des pays où ils résident ou de leurs populations, etc.

Tout au long des 312 pages de ce Passeport, l’autrice racontera son histoire, ses copines, son apprentissage, à la dure, de l’espagnol, ses craintes d’adolescente, ses premiers émois, ses expériences, ses relations avec la jeunesse dorée du pays, ses déceptions… mais aussi cette progressive et lente découverte des secrets de ses parents. Le tout avec toujours ce pays, indéfini mais possiblement hostile, en toile de fond.

Rien de révolutionnaire dans tout ça, mais un récit bien mené, bien rythmé, bien développé, accompagné par un dessin au crayon et aux aplats de couleur qui isolent la plupart du temps les personnages dans leurs propres récits. Un style simple mais qui n’empêche pas l’autrice de donner beaucoup d’expressivités aux visages des personnages ou de se faire plaisir ci et là en dessinant de beaux décors aux détails bien fournis.

Un ensemble de qualités qui font de ce Passeport un album agréable à lire et relire.

Passeport, de Sophia Glock. Casterman

Pablo Chimienti
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