Théâtre

Réussir à s’y risquer

d'Lëtzebuerger Land du 22.10.2021

Véronique Fauconnet monte Le 20 novembre, dans son petit TOL de Bonnevoie, strident texte de Lars Norén, qui divise depuis sa parution en 2008. C’est en effet avec un sentiment double que nous laissent les mots du suédois, inspirés du journal intime d’un lycéen allemand qui aura tenté de venger lui-même la souffrance des humiliations que l’école peut provoquer. Un texte laissé comme le testament du « massacreur », qui angoisse autant qu’il désoriente en induisant une étrange empathie face à celui qu’on traitait de « loser ». Proposition courageuse, Le 20 novembre est ainsi porté sous les lumières de scène avec justesse par le trio Aude-Laurence Biver, Mika Bouchet-Virette et Jérôme Varanfrain, sur une mise en scène en demi-teinte, elle aussi.

« Mes actions sont tout simplement le résultat de votre monde. Un monde qui n’a pas voulu me laisser être celui que je suis ». Sebastian Bosse, jeune lycéen d’Emsdetten en Allemagne, attaque son lycée le 20 novembre, avec la ferme intention d’y tuer camarades et professeurs avant de le détruire. Ce monstrueux contexte, on peut le lire avant de rentrer en salle. Sans cela, ce qu’on entend, c’est la parole d’un jeune perturbé, laissée sur internet, et que Lars Norén tisse en pièce de théâtre. À deux doigts de passer à l’acte, le jeune homme livre ses motivations entre brutalité et désespoir, dans un monologue qui taillade le spectateur.

Argumentaire préliminaire d’un tueur qui aura heureusement raté son objectif, le théâtre s’empare là d’un drame de société, où le propos se livre dans un acte scénique fort dans le plus froid des premiers degrés. À un endroit où les mécanismes du théâtre n’existent plus, sans jugement de celui qu’on écoute, laissant le spectateur se dépatouiller lui-même de toutes thématiques polémiques, jusqu’à lui laisser libre la parole s’il souhaite la prendre. À l’image de la version du TOL, qui a connu le soir où nous y étions, une fin rare, où la précieuse intervention d’un des spectateurs a lancé un vif débat au sortir de la salle. L’évidence est pourtant là, en prenant le fait divers comme le prétexte d’une pièce qui fait se côtoyer l’effroi et l’incompréhension, Lars Norén comprend bien le dérangeant de la chose.

Pourtant, l’histoire se conte comme une nécessité, comme pour ne pas tourner le dos à ce qui existe bel et bien, sans qu’on y puisse quoi que ce soit. Alors, sur ce plis, Véronique Fauconnet prend ces pages pour les mettre en scène dans un dispositif forcément très frontal. Une situation scène/salle qui gifle et par laquelle les comédiens nous agrippent en usant de tout le pouvoir de la scène. Tenant avec fermeté ce texte coup de boule, et par une belle écoute, le trio – même si disparate en termes d’expérience – maîtrise bien son personnage, livré en partage. Et c’est plutôt une belle idée que de donner à entendre ce monologue, par trois voix distinctes, ainsi pour rappeler le lieu commun du psychotique, occupé par tout un monde dans sa tête. Alors, si ce n’est qu’un parti pris, c’en est un, et pour une fois au TOL, il faut admettre une grande prise de risque dans le choix de ce texte, ô combien clivant et « difficile ».

Fauconnet tend enfin les bras à la sobriété et au furieux premier degré, malheureusement elle ne le laisse pas s’exprimer jusqu’au bout, ajoutant à un ensemble très prenant, des instants chorégraphiques complètement loufoques, sortes de tampons de respiration, comme si on nous massait avec de l’écran solaire sous la pluie. Mais pourquoi rompre avec cette tension si dure à créer en scène ? Dans les grands regrets, réside aussi ce décor figé, qu’on aurait aimé s’éclater, devenir de la charpie, au service des comédiens qui auraient trouvé encore plus de verve à s’y défouler, plutôt que de lancer quelques boulettes de papier, ou devoir se faufiler entre deux bâches tendues presque en s’excusant.

Néanmoins, il s’agit de saluer une vraie prise de position dans le choix de ce Norén, par lequel le TOL change un peu de visage, et nous donne l’espoir qu’un jour peut-être cet espace si singulier éclatera de création aussi audacieuses et courageuses, pour rayonner parmi les scènes contemporaines de la capitale.

Le 20 novembre de Lars Norén, mis en scène par Véronique Fauconnet est encore joué, au TOL, les 23, 27, 28 et 29 octobre à 20h et le 24 octobre à 17h

Godefroy Gordet
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