Madame Edouard

Place Clochemerle

d'Lëtzebuerger Land du 24.06.2004

Amélie Poulain a un frère. Il s'appelle Léon, est commissaire de police à Bruxelles et tricote pour oublier qu'il a envie de fumer. Ce n'est pas un hasard que Jean-Pierre Jeunet, le réalisateur du Fabuleux destin d'Amélie Poulain, ait encouragé Nadine Monfils, auteure belge de romans policiers (notamment la série des Commissaire Léon), à adapter son univers à l'écran : les deux se ressemblent. Amélie à Montmartre (où la réalisatrice habite aujourd'hui), Léon dans le quartier des Marolles à Bruxelles (où elle a vécu longtemps) - tous les deux nous apprennent que malgré nos blessures, il faut continuer à vivre sa vie comme on veut, que les gens sont magnifiques et que la vie est belle. Tous les deux partagent aussi ce côté réactionnaire agaçant - «en arriver à un tel niveau de ringardise est affligeant» écrivait La Libre Belgique dans sa critique -, comme si, face à la mondialisation, seul le repli était possible, comme si la révolution technologique faisait de plus en plus de laissés-pour-compte qui aboutissent au bar, comme jadis. Dans Madame Edouard, il y a bien des téléphones portables (à petites doses), mais la seule apparence d'un ordinateur dans le film est un écran… transformé en aquarium !Madame Edouard (coproduit par Samsa et tourné en grande partie en studio à Contern) est un premier film qui a apparemment tellement attendu d'aboutir qu'il souffre de ce trop-plein d'idées. Peut-être qu'il eut fallu faire des choix plus conséquents. Car l'intrigue policière se perd dans la comédie de moeurs, qui, elle, s'attache trop aux détails de décoration et aux tics des personnages pour garder son rythme. D'autant plus que, au-delà de vouloir faire rire, le film se veut aussi une réflexion sur l'art et la douleur de la création, autant qu'un hymne à la vie et à la tolérance… Alors, en additionnant tout cela, il devient comme une tarte à la crème trop sucrée, trop grasse, surchargée. Et pourtant, Madame Edouard a plein de qualités, comme son casting de luxe, avec Michel Blanc en commissaire Léon, en permanence dans l'understatement, le seul à ne pas être complètement déjanté, Olivier Broche (des Deschiens) incarnant son assistant Bornéo, qui casse tout ce qu'il touche, Rufus en mélancolique et presque autiste éleveur d'oiseau Valdès, Didier Bourdon à contre-emploi en tant que touchante transsexuelle Madame Irma, femme de ménage et ancien Monsieur Edouard. Ou encore Josiane Balasko, en grande forme, en secrétaire Nina, avec ses tenues, ses boucles d'oreilles et surtout ses seins en forme de poire absolument improbables. Annie Cordy joue Madame Ginette, la mère de Léon, collectionneuse hystérique des cadeaux les plus kitch et, notre préférée, Dominique Lavanant en Rose, pilier de bar mesquine qui noie sa solitude et son désespoir dans le rosé… La vague intrigue du film est une enquête policière du commissaire Léon, chargé d'éclaircir une série de meurtres de jeunes filles, toutes artistes, retrouvées sans avant-bras derrière les tombes de collectionneurs d'art. L'enquête le mènera toujours et encore dans le bistro La mort subite, où se retrouvent ces personnages hauts en couleur. Madame Edouard est surtout un film très visuel, plein d'images, de tableaux, en hommage aux univers esthétiques de grands Belges - la pipe et le bonhomme au chapeau melon de Magritte, Léon en référence à Tintin - et à la Belgitude, cette gouaille, cet humour décalé, le côté déjanté qu'on adore chez nos voisins. Où on mange des rollmops au pickles (beurk !), où on aime le club de football d'Anderlecht et où on appelle son chien Babelutte parce qu'il colle aux talons de son maître comme les bonbons typiques de la côte belge vous collent au palais. Visiblement, ce furent surtout les décorateurs - Hubert Pouille en chef décorateur et Cynthia Dumont en chef costumière - qui se sont amusés à dénicher le bric et le broc qui peuplent cet univers féerique. Alors parfois, on prend tout simplement plaisir à penser à un tableau d'Edward Hopper à la Belge, à la vue de ce coin de comptoir à La mort subite ou aux photos kitchissimes de Pierre [&] Gilles lorsque la fille de madame Edouard tombe amoureuse du fossoyeur… Mais cela ne suffit malheureusement pas pour faire tenir le film sur une heure et demie.

josée hansen
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