En ce début de mois de septembre, les plus chanceux sont ceux qui n’ont pas besoin de penser à la rentrée. Et le meilleur moyen de ne pas rentrer, c’est évidemment de n’avoir pas (encore) pris de vacances.
Heureux le frontalier qui a pu découvrir à quoi ressemblait une journée de travail quand on lui enlève deux heures d’embouteillages. « Tu es déjà là chéri ? Tu as été licencié ? Tu as loué un hélicoptère ? »
Heureux le touriste d’un jour qui a pu profiter des terrasses ensoleillées des rives de la Moselle, se promener dans la vallée des sept châteaux ou pratiquer le minigolf aux Rotondes (et, pour la première fois de sa vie, peut-être, remporter la partie grâce au retournement de situation offert par le dernier trou).
Heureux le jeune célibataire qui peut déserter le Limpertsberg pendant les jours de la Schueber et abandonner les rues tranquilles du quartier huppé aux hordes avides de sensations fortes, de musique électronique et de graisses saturées.
Heureux les parents quinquagénaires, qui n’ont plus besoin de consacrer des journées à la course aux fournitures scolaires où il faut réussir à trouver les crayons de la bonne marque (la Joffer l’a écrit en majuscules, police 18 et souligné trois fois, c’est donc certainement très important), les classeurs de la bonne couleur avec le bon nombre d’anneaux et les feuilles avec la bonne taille de carreaux et les trous là où il faut.
Tout le monde n’a pas cette chance. Les employés des commerces qui prévoient une fermeture annuelle ou ceux qui doivent suivre les congés collectifs du bâtiment se retrouvent dans la même obligation de reprendre le chemin du travail dès les premiers jours de septembre, qui a su garder un parfum de rentrée même pour ceux qui ont dépassé l’âge d’aller à l’école. Par ailleurs, il suffit d’avoir eu l’idée saugrenue, et quelque part un peu prétentieuse, de perpétuer son patrimoine génétique pour se retrouver avec des enfants, avec lesquels on sera bien condamné à partir en juillet ou en août, tant qu’ils seront scolarisés.
La diversité en matière d’enseignement engendre néanmoins un certain étalement des dates de rentrée. En fait, on pourrait même croire à une justice dans ce bas monde puisque l’on s’aperçoit que plus l’enseignement coûte cher, plus les parents sont obligés de partir en congés en pleine saison. International School, 15 000 euros par an : rentrée le 29 août. Saint George School, 12 000 euros par an : rentrée le 5 septembre. École française, 3 500 euros par an : rentrée le 10 septembre. Enseignement public luxembourgeois, zéro euros par an : rentrée le 17 septembre ! Certes, l’éducation de vos enfants n’a pas de prix, mais vu certains tarifs, on peut espérer que les bureaux sont en ébène et qu’il y a du homard à la cantine. Disons que ce n’est pas la rentrée de toutes les classes sociales.
Il reste donc encore, à la majorité des résidents, une bonne semaine de congés pour partir à tarif réduit, en classe économique, et profiter du soleil sous d’autres latitudes, alors même que s’annonce déjà l’automne, les feuilles qui jaunissent, les températures qui rafraîchissent et les jours qui raccourcissent. À moins que vous n’ayez complètement passé un cap, et soyez de ceux qui considèrent que, tout bien pesé, les vacances d’été, c’est trop pénible. Déjà, il fait trop chaud. Ensuite, on a toujours des grains de sable coincés entre les orteils ou, pire, dans l’élastique du maillot. Et, surtout, vous n’en pouvez plus de toutes ces photos sur Instagram de gens sains et bronzés, lunettes de soleil sur le nez, montre de plongée au poignet, brandissant leur verre surdimensionné d’Aperol Spritz avec la baie de Saint-Tropez en arrière-plan. Bonjour l’angoisse !
Ce qu’il y avait sans doute de pire sur les écrans cette année, c’était le foot-selfie. Rien à voir avec la coupe du monde, il s’agissait de prendre une vue de ses orteils, allongé sur le transat, devant la piscine ou la mer. On se demande comment font ces gens pour trouver un transat de libre au mois d’août. L’essentiel n’est pas d’en profiter, c’est de montrer qu’on prend son pied (au sens propre et au sens figuré). Avant, on partageait sa joie d’être allé visiter Acapulco ou les Canaries en envoyant une carte postale à ses amis, qui la recevaient en général après que vous soyez déjà rentrés. Il fallait prendre la peine de choisir la carte, de l’écrire à la main, de payer un timbre, de se rappeler l’adresse des destinataires et de trouver une boîte à lettre où la poster, sous peine de faire le tout dans l’urgence en attendant l’avion du retour. Maintenant, quand, sur votre fil d’actualité, défilent des photos des Maldives ou d’Australie postées par des « amis » (ceux qui vous souhaitent bon anniversaire le jour de votre fausse date de naissance indiquée sur Facebook), vous vous dites que vous allez continuer à faire profil bas, et ne pas partager de photo de cette excellente moules-frites sur la côte belge.
C’est peut-être cela le privilège des congés : appliquer sa crème écran total et une absence d’écran… totale !