La politique de pépé avec les médias d’aujourd’hui

d'Lëtzebuerger Land du 31.08.2018

Quand Mars di Bartolomeo a été élu une première fois à la Chambre des députés, en 1989, Paul-
Henri Meyers avait 52 ans, Xavier Bettel était un ado de seize ans et Sacha Pulli (LSAP) ou Elisabeth Margue (CSV) n’étaient pas encore nés. Pourtant, assure le président socialiste de la Chambre des députés, il n’est pas du tout las de ses fonctions. Si Meyers a jeté l’éponge à l’âge canonique de 81 ans et ne se présentera plus sur les listes du CSV pour les législatives d’octobre, Mars di Bartolomeo aime à s’afficher dans la force de l’âge, faisant de la natation ou du vélo – comme Jean Asselborn, de trois ans son aîné, qui vient de terminer son tour de France annuel. À 65 ans, celui que ses confrères appellent tendrement « de Mars » ou « den di Barto » se sent encore tout à fait d’attaque pour affronter ses concurrents politiques, qu’ils s’agisse de ses colistiers plus jeunes que lui ou de ceux qui se présentent pour un autre parti. Et pour y arriver, l’éternel jovial issu de l’immigration italienne, qui vient du journalisme (il fut d’abord journaliste, puis rédacteur en chef adjoint du Tageblatt lorsque celui-ci était encore de gauche, dans les années 1970 et 1980), puis a régné avec beaucoup de talent politique sur la Ville de Dudelange (dont il était maire durant dix ans, de 1994 à 2004) s’est e.a. connecté aux « trucs de jeunes » : les réseaux sociaux.

Comme toutes ces grand-mères qui postent des photos de chats sur leur profil Facebook à longueur de journée, Mars di Bartolomeo y est complètement incontrôlable – au grand dam de la centrale de campagne du parti et de ses nombreux conseillers en et agences de communication, qui veulent tout centraliser. En gros, il fait ce qu’il veut. Inscrit sur Twitter en janvier 2017 et sur Instagram depuis avril de cette année, il n’a sur les deux réseaux qu’un millier d’abonnés. Mais alors qu’il utilise Twitter pour promouvoir la politique du Parlement (d’ailleurs ses tweets sont même référencés dans la revue de presse du Sip gouvernemental), Instagram, où il est actif sous le nom @marsdibarto, c’est son espace « moi, je ». Selfie-manie, son chat, sa femme, ses tartes à la rhubarbe, ses enfants et petits-enfants, des canards en baignade, ses vacances à La Havane – tout y passe. Avec un penchant particulier pour l’affichage un brin vaniteux de son ascension sociale : en costume noir-nœud papillon devant une Mercedes immatriculée P1, endimanchée avec son épouse pour les festivités de la Fête nationale, au pupitre du Bundestag allemand lors d’une visite officielle. Mars di Bartolomeo ne maîtrise pas encore l’art du hashtag, ses légendes sont un peu spartiates, se réduisant souvent à quelques mots.

Mars di Bartolomeo est en politique depuis tellement longtemps qu’on a l’impression qu’il fait partie du décor. Et il fait de la politique de pépé, comme on faisait dans le temps de Don Camillo et Pepone – mais avec les moyens technologiques de 2018. Alors cela fait un effet d’anachronisme permanent, comme dans Back to the Future. Quelle belle régression dans l’âge de la toute petite enfance, lorsque bébé apprend qu’il n’est pas sa mère et à imposer sa propre personnalité que cette collection de faux dictons, de photos et d’autres trouvailles autour de son prénom : « Keep calm and love Mars / go to Mars », un camion de « Logistik Mars », la célèbre barre chocolatée bien sûr...

Éternel concurrent de Jean Asselborn aux urnes – en 2013, Asselborn était le premier élu socialiste au Sud, avec 38 257 voix, di Bartolomeo suivant avec 10 000 voix de moins, mais en 2004, di Barolomeo récolta 40 941 voix et Asselborn 4 000 de moins –, Mars di Bartolomeo (*1952) ne veut pas abandonner tant que Asselborn (*1949) roule encore. Le parti d’ailleurs ne survivrait pas à leur désistement. Leur système de politique de proximité – le « je t’arrange ça » qui leur vient de leur époque de maire de Dudelange et de Steinfort respectivement – sur lequel se base leur popularité a été reprise telle quelle par Xavier Bettel, et elle fonctionne toujours. Pas besoin de faire de la politique politicienne, d’avoir un programme ou une idéologie, si on peut aussi être populaire par des poignées de mains aussi moites que chaleureuses.

Si la campagne électorale 2018 se joue pour la première fois aussi sur Instagram, des profils comme celui de Mars di Bartolomeo reflètent bien une réalité luxembourgeoise. Ici, la vie est aussi paisible que le veulent les images d’Épinal promues par la campagne #letsmakeithappen : les jardins fleurissent, les chats ronronnent, parfois il pleut, mais ça passe. Un seul (petit) problème a été évoqué par le candidat di
Bartolomeo : un chantier sur une piste cyclable à Bettembourg (régie par le maire CSV Laurent Zeimet). Dans la turpitude de cet îlot de bien-être que celui de Mars di Bartolomeo, les élections sont juste une date parmi d’autres, comme un contrôle médical ou un passage à Sandweiler, mais ne semblent pas valoir plus de dérangement que cela. Les élections, c’est dans six semaines, mais ce n’est pas une raison de s’énerver. La dernière photo postée par le président du Parlement montre un canard avec la tête sous l’eau.

josée hansen
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