Requiem for a derm

d'Lëtzebuerger Land du 03.08.2018

L’été est la saison où l’on revient aux fondamentaux : du temps pour soi, du temps pour sa famille, du temps pour les plaisirs simples de la vie, et du temps pour remettre en question les fausses vérités. Parmi les idées reçues à battre en brèche au mois d’août, il en est une dont on aurait aimé qu’elle ne soit pas une fiction : l’homme n’aurait plus de prédateur naturel. La nature serait à sa merci. Vraiment ?

Que tous ceux qui en sont persuadés réservent dès maintenant une semaine de camping dans les Bouches du Rhône. L’aventure vous manque ? Vous voulez vivre le grand frisson de l’homme démuni face à un environnement hostile ? Vous aurez la joie de retrouver l’esprit de lutte contre la nature, en endossant le rôle de la proie, victime démunie combattant vainement des armadas de moustiques géants avides de votre sang et de celui de vos enfants. 

Oubliez grands fauves, loups et requins, responsables de quelques centaines de décès par an. Notre premier prédateur c’est le moustique, qui est l’animal qui cause le plus de morts chez l’être humain (de l’ordre de 500 000 décès par an selon l’OMS pour le seul paludisme). Le moustique est plus meurtrier que les serpents (environ 75 000 décès annuels) ou les chiens (environ 20 000 décès annuels, surtout parmi les enfants). Le seul animal qui lui arrive à la cheville, si l’on peut risquer cette image audacieuse, ce sont d’immondes gastéropodes d’eau douce responsables de la bilharziose, qui causent environ 100 000 décès par an.

Si pour vous, l’été est synonyme de kuduro, de waka-waka ou de zumba, vous risquez d’apprécier plus modérément les nouveautés importées des tropiques : zika ou chikungunya. Fatigue, fièvre et douleurs articulaires sont des symptômes partagés entre pseudo-danses tribales et maladies tropicales, mais la comparaison s’arrête là. Dans un cas, vous ne risquez que le ridicule, dans le second, c’est votre santé physique qui est en jeu. Ceci dit, si nous sommes désormais confrontés sous nos latitudes au célèbre moustique tigre, dont le nom n’inspire pas forcément la sérénité des futures victimes que nous sommes tous, il n’est pas encore vecteur des mêmes maladies que dans ses contrées d’origine. Tout bien pesé, ne risque-t-on pas déjà autant avec une promenade dans le Mullerthal, à la merci des hordes de tiques sournoisement cachées sous les feuilles des arbres ? 

Le problème semble surtout psychologique. Le perfide volatile vient nous attaquer la nuit, lorsque nous sommes sans défense. #MeToo, nous sommes tous solidaires pour avoir été agressés pendant notre sommeil par une bête venue se poser sur les parties dénudées de nos corps endormis pour y sucer notre sang et y injecter sa salive. Vous pouvez transformer votre chambre en succursale de parfumerie de centre commercial en aspergeant de citronnelle vos draps, vos oreillers et des dizaines de bracelets en silicone dont vous entourerez bras et jambes de toute votre famille, rien n’y fait. Vous aurez juste la migraine en plus de démangeaisons.

À choisir entre les boutons et les bouchons, vos vacances vous feraient presque regretter les embouteillages du Kirchberg. D’autant que le sadisme de l’anophèle est complet. Même si elle ne vous pique pas, elle va vous empêcher de dormir grâce au petit vrombissement de ses ailes, qu’elle vous fait apprécier au plus près de vos tympans grâce à des vols en rase-motte à moins de deux centimètres de vos pavillons auditifs. Au moins, les Boeing de Cargolux et Qatar Airways décollant du Findel qui défilent au-dessus de chez vous ont, eux, la décence de s’arrêter après minuit.  

Vous rêviez de vacances mojitos au bord de la piscine, vous avez eu des vacances mosquitos au bord de la déprime. Vous avez testé plus de pommades que de promenades. Et, au lieu de ramener un tatouage au henné, vos bras sont décorés de petits points rouges style « maillot à pois du meilleur grimpeur du Tour de France ». Heureusement, les moustiques nous excitent, nous piquent et nous quittent. Il suffira de quelques températures flirtant avec les 10 degrés pour que ces sales bêtes se mettent à l’abri. 

Dernier élément de réflexion pour l’été, les femelles, qui sont les seules à boire notre sang, ont une espérance de vie d’une cinquantaine de jours alors que les mâles, qui se nourrissent du nectar des fleurs, ne vivent qu’une dizaine de jours. Voilà au moins un point positif à porter au crédit de cette nuisible espèce : déculpabiliser le non-végétarien à l’heure d’enchaîner des séries de grillades estivales.

Cyril B.
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