Yasmine Schindler

À-vent-ureuse

d'Lëtzebuerger Land vom 09.08.2013

Téméraire, elle ne le paraît pas forcément du premier coup d’œil. Mais si Yasmine Schindler, blonde, élancée et parée de grosses lunettes de soleil dans les cheveux soigneusement coiffés, peut apparaître en jupe dorée à une fête branchée, coupe de champagne à la main, elle peut aussi revêtir l’overall de matelot et risquer sa belle peau pour une passion sportive. Yasmine est la seule résidente du Luxembourg à participer au concours Clipper round the world 2014, unique course de voile se déroulant selon des standards professionnels mais ouverte aux amateurs.

Pour le périple qu’elle prépare depuis un an et demi, Yasmine a choisi la route America Coast to coast, de San Francisco à New York via le canal de Panama. La course démarrera avec une grande fête le 1er septembre à Londres ; le bateau de Yasmine partira le 20 avril 2014 et l’arrivée au Big Apple est prévue pour le 6 juin, soit sept semaines plus tard. Sept semaines à bord d’un bateau à voiles conduit à travers vents et marées par une skipper professionnelle à la tête d’une équipe de vingt personnes. « J’ai atterri dans le seule équipe dirigée par une femme, Vicky Ellis, jeune de surcroît, pas plus que la trentaine. Au début, j’avoue que je m’interrogeais. Mais pendant le premier entraînement sur la Manche, j’ai fait la connaissance d’une fille formidable, une vraie capitaine au moral d’acier », raconte Yasmine.

L’entente entre les membres de l’équipage sera une condition sine qua non pour la réussite du tour. Enfermés sur le voilier des semaines durant, les plaisanciers devront se satisfaire du strict minimum : alimentaire, hygiénique, d’espace. Même les lits seront partagés au gré des heures de garde, de sorte à ce qu’il y ait un occupant en permanence. « Quand je pense devoir partager des toilettes pas forcément propres (le voilier bourlinguant plus ou moins fort) avec 19 autres personnes pendant des semaines, je me demande vraiment pourquoi je me suis lancée dans cette aventure », rit Yasmine, balançant une mèche rebelle d’un revers de la main. « C’est là mon défi très personnel – plutôt que de couler, j’ai horreur de ce qu’un manque d’hygiène corporelle me mette dans un état d’instabilité mentale ! ». Elle avoue avoir payé un petit surplus et avoir coché la case « miroir » dans la liste d’objets de cabine qu’on peut commander en supplément.

Les bateaux sont sponsorisés par un pays, une région ou une ville ; celui de Yasmine naviguera sous drapeau suisse. En effet, l’évènement jouit d’une présence médiatique considérable et est suivi de près dans le monde de la voile et au-delà : « En Chine par exemple, l’arrivée est un évènement local de grande envergure ». C’est aussi parce qu’il s’agit d’une course tactique, comme toutes les véritables courses de voile : « Il faudra constamment réajuster le rapport force du vent/distance à parcourir afin d’identifier le parcours le plus avantageux ».

Après l’inscription à la course (assez onéreuse), trois entraînements sont obligatoires avant de pouvoir endosser pour de bon le gilet rouge doublé d’une life jacket. »Pendant le premier entraînement, d’ailleurs très chaotique, une fois que j’étais mouillée jusqu’aux os, malade du mal de mer et épuisée à mort, je me suis vraiment posée la question de savoir pourquoi je fais tout ça, pourquoi je m’infligeais ces peines physiques. J’ai failli abandonner ». Ce dont elle a le plus peur n’est cependant pas le risque réel d’affronter les intempéries et les sauts d’humeur de l’océan, mais « d’une trop forte dose d’émotions causée par la fatigue, et de réactions violentes face à l’épuisement physique ».

Mais pourquoi le faire alors? « Me lancer un défi personnel… Les organisateurs jouent des maximes alléchantes pour aiguiser le goût du défi : Challenge of a life time, et A unique event raced by people like you. Je pense que je m’identifie avec ces objectifs », réfléchit Yasmine qui, dans la vraie vie, travaille pour la NSPA, l’agence prestataire de services et de logistique intégrée de l’Otan. « Mais je veux aussi devenir un meilleur voilier… et nouer des liens forts avec les personnes du team. Nous vivons de nos souvenirs, non ? Quand j’aurai 80 ans, je pourrai appeler ma copine navigatrice et lui dire ‘tu te souviens, quand on a traversé le canal de Panama, et que tu étais si épuisée que tu ne voulais plus te relever de notre lit… ‘.

Yasmine compte finalement réaliser un rêve ancien, celui de découvrir New York et de ne pas arriver comme la majorité des touristes par les airs, mais par la mer. En fermant un moment ses yeux couleur de biche : « Entrer dans la baie de New York, passer la statue de liberté sur un voilier, ça me motive quand je doute. C’est top ». Puis y prendre la première vraie douche en sept semaines, inoubliable…

www.clipperroundtheworld.com
Béatrice Dissi
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