Wellness et spas

Un massage et ça repart

d'Lëtzebuerger Land vom 25.09.2015

C’est le règne du bambou, du blanc, de la luminothérapie et de la flûte de Pan. Il doit y avoir un grossiste de « kits de départ » pour cabines wellness, qui comporte ces quatre éléments, c’est assez incompréhensible que la musique ésotérique en fasse partie, alors que le plus grand luxe pour une citadine stressée qui cherche quelques minutes de relaxation serait de lui offrir le silence. On ne se révolte pas assez contre la pollution sonore.

Walferdange, Pidal, dimanche. J’ai rendez-vous pour un traitement Detox « au miel et au gingembre », pour cet article. Accueil impeccable au deuxième étage, mise à disposition d’un peignoir et d’un slip jetable, comme à l’hôpital. Vestiaire, salle d’attente, et elle est déjà là, cette insupportable bande sonore qui indique tout de suite au système nerveux : on te demande de te relaxer. Il peut tout aussi bien réagir de façon contraire, se crisper. Plantes vertes, petites fontaines d’eau, pas trop vives, thé offert ; au mur, des photos de plantes grasses et autres fleurs exotiques magnifiées par un macro hyper-précis. Ici, le personnel chuchote pour ne pas chahuter les clients censés s’acclimater peu à peu à une ambiance de détente.

Arrive la masseuse. Une dame comme il faut, parlant français avec un accent espagnol. Ils étaient 541 personnes à travailler dans le secteur de l’esthétique/wellness en 2014, selon la Chambre des métiers qui chapeaute le secteur, contre 152 en 1990 encore. Il y a aujourd’hui quelque 200 entreprises dans ce secteur, beaucoup d’entre elles étant de taille modeste, ne dépassant pas les trois employés, il semblerait qu’un point de saturation ait été atteint en 2011, estime Norry Dondelinger, le directeur du département affaires économiques de la Chambre des métiers. Les salariés luxembourgeois y sont en minorité, une centaine seulement, les autres étant de nationalité étrangères (292, surtout Français et Belges) ou frontaliers (212).

Première station : un hammam, bain à vapeur individuel, avec les pieds dans une bassine d’eau agrémentée d’un mélange de lait, de miel et de gingembre. Effet recherché : échauffement, relaxation. Deuxième station : un massage tonifiant avec du miel spécial, agréablement chaud. C’est le meilleur moment d’un tel traitement, qui détend vraiment les points névralgiques et les nœuds de blocage du corps stressé. Que ce soit du miel chaud, des huiles essentielles pour les massages ayurvédiques à l’indienne, ou des pierres chaudes posées sur le corps, toutes ces techniques s’appuient sur des éléments simples et évidents comme la pression et la friction, stimulant le système nerveux.

Une grande partie du succès des services de massage est due au discours et à la mode. Car pourquoi trouverait-on soudainement normal de dépenser l’équivalent de dix heures de salaire social minimum pour se faire tripoter sous une lumière changeante et avec des chants de baleine dans les oreilles ? Parce que le message est passé qu’il s’agit de « temps pour soi », un plaisir individuel sans téléphone portable, où on est injoignable, centré sur soi, pour faire de l’introspection, réfléchir et évacuer (au moins pendant le temps du traitement) les soucis qui vous accablent. C’est un peu la messe de notre temps, avec des rituels tout à fait comparables – sonores, olfactifs (l’encens des églises n’était rien d’autre qu’un stimulus olfactif, comme les huiles essentielles aujourd’hui), visuels. Les centres de wellness et de thalassothérapie donnent l’impression à leurs clients qu’ils sont uniques et méritent qu’on s’occupe d’eux avec le plus grand soin.

Les traitements spa se trouvent dans des grandes piscines, comme Walferdange ou Mondorf, mais aussi dans de toutes petites structures inattendues à l’étage d’un immeuble urbain ou, de plus en plus, avec fenêtre sur rue en plein centre-ville. Ils invitent à une heure de détente ou à un voyage centré sur le wellness dans la grande région, en Thaïlande ou en Inde. C’est devenu une mode, majoritairement féminine d’ailleurs, dans la classe d’âge des quarante à soixante ans. Il n’y a que peu de chiffres pour le Luxembourg, mais en France par exemple, le secteur de l’esthétique généra 3,6 milliards d’euros en 2013, avec une croissance continue de sept pour cent par an sur dix ans (chiffres : Fédération française des écoles d’esthétique parfumerie), avec toutefois une stagnation suite à la crise économique. Selon ces chiffres, un quart des Françaises vont en institut de beauté, des femmes qui sont « actives et soucieuses de leur apparence », « à la recherche de bien-être, de détente et de calme ». Chaque businesswoman ou femme active à double charge carrière/famille vous dira que le plus grand luxe dans une journée, voire une semaine, est d’avoir une heure libre dans son agenda, une heure sans aucun autre engagement que d’être.

Dernière étape : bain chaud dans un mélange de lait, miel et gingembre, « pour un sentiment comme nouveau-né ». Même la baignoire design est équipée de lumière changeante, on se croirait à la Philharmonie. L’insupportable musique d’ambiance continue et gâche le plaisir d’être au calme – il n’a jamais été possible de la faire éteindre, nulle part. Douche froide, puis relaxation au troisième étage, où des cabines équipées de transats hightech permettent de lentement reprendre ses esprits et se préparer à revenir à la vie active. Finalement, ce seront ces quelques minutes sur la terrasse en plein soleil qui auront été les plus relaxantes, sans aucune autre influence sensuelle que la lumière et la chaleur du soleil d’automne.

josée hansen
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