« On n’avait encore jamais vu un associé de PricewaterhouseCoopers se faire expulser comme l’a été mon client », a raconté lundi en substance l’avocat de cet ex-associé de la firme mondiale d’audit et de consultance – l’un des big four, appelation pour les quatre grands cabinets PWC, KPMG, Deloitte et Ernst [&] Young – devant la juge des référés Brigitte Konz.
La « purge » dans le département du conseil de PWC a fait jusqu’à présent trois victimes au plus haut de la hiérarchie. Le ménage a démarré en janvier. Deux des associés de la firme, OGM et GMI1, le nom de code que la firme d’audit et de conseil leur a attribué, n’étaient plus suffisamment performants dans la branche du consulting, elle-même en panne de vitesse suite aux restrictions budgétaires que se sont imposées les entreprises luxembourgeoises, essentiellement dans le secteur financier. C’est en tout cas le reproche que leur a formulé le comité de direction de PWC, onzième employeur du pays avec plus de 2 000 personnes. Si l’un des deux associés a accepté en janvier, après des négociations à l’amiable, les conditions financières de sortie de la firme, a vendu ses parts d’associé avec la rupture de son contrat d’emploi, l’autre a jugé l’offre insuffisante et inacceptable la manière dont il s’est d’abord fait exclure comme partner, avant d’être licencié de la firme pour des raisons économiques. Dans l’intervalle de ces deux départs forcés, les mauvaises performances de la branche du conseil, activité décrite à l’audience comme déficitaire (depuis 2008 avec une aggravation de la situation en 2009) et en passe d’être « profondément restructurée », a fait une victime supplémentaire. Il y a peut-être des raisons plus inavouables, autres que des motivations purement économiques, à cette éviction des trois hommes. Nulle allusion n’a en tout cas transparu à ce sujet à l’audience de lundi.
En mars dernier, la firme annonçait le renforcement de l’équipe du département Advisory (conseil), avec le recrutement de Christian Scharff, ex-directeur des ressources humaines de Dexia-Bil.
Un des principaux associés du département Advisory a été exclu vendredi 18 juin de l’équipe des Equity Partners de PWC, passée en l’espace de six mois de 50 personnes à 46 (en tenant compte des trois « sorties forcées » et du décès d’un des associés). Représenté par un avocat à l’audience pour conforter les arguments de la défense d’OGM, le troisième homme se tâte visiblement encore avant de lancer sa propre offensive judiciaire. Ces éjections d’associés créent en tout cas un certain malaise au sein de la firme.
OGM n’était pas un salarié ordinaire. De ce fait, il n’a pas saisi la juridiction du travail et ne le fera d’ailleurs peut-être jamais. Le point de la compétence du tribunal des référés sera sans doute examiné à la loupe, la partie défenderesse, en l’occurence les associés de PWC, estimant que l’affaire dépassait les compétences du juge de l’urgence et que la question d’interprétation de la majorité des trois-quarts devait être tranchée par un tribunal de fond. « On ne critique pas le licenciement, on ne vous demande pas de statuer en droit du travail, mais de constater comment on a exclu mon client en violation des règles internes », a rétorqué pour sa part l’avocat du demandeur.
En appelant à l’arbitrage du tribunal des référés et en mettant en cause la validité de la procédure qui l’a exclue de PWC, OGM, s’il devait obtenir gain de cause, pourrait bien provoquer une belle pagaille dans l’organisation de la plus grande firme des big four au Luxembourg. L’avocate des 46 associés de PWC a ainsi évoqué un risque de « paralysie du fonctionnement » d’un des plus importants employeurs du pays. Le demandeur réclame entre autres le gel des rémunérations des Equity Partners.
Les départs d’associés chez les big four, quelle que soit la localisation du cabinet dans le monde et quelle qu’en soit aussi la raison (mauvaises performances, comportement inadapté, voire indélicatesse ou emprisonnement) se traitent en principe à l’amiable et à l’abri des regards indiscrets. Lundi, lors de l’audience de référé, plus longue que d’ordinaire, personne ne se souvenait d’un précédent d’expulsion d’associé. Du moins pas dans le réseau mondial de PWC. OGM est donc le premier à faire l’étalage public de ses dissensions avec son ancien employeur qui l’a « réformé » le 27 janvier dernier lors d’une assemblée réunissant les 50 associés de la firme. Si tous n’étaient pas présents physiquement et que certains, selon les informations qui ont filtré à l’audience de lundi, ont même quitté la salle lors du vote, tous ont été représentés pour formaliser le limogeage d’un des leurs. L’affaire s’est faite en actionnant une procédure exceptionnelle du retrait forcé, inscrite à l’article 38 des statuts internes du cabinet. Il fallait donc que le cas présente une gravité certaine pour en arriver là. Selon les statuts, une telle procédure ne peut intervenir qu’en cas d’emprisonnement de l’associé, de force majeure, de mauvais comportement, etc. Réformés en 2008, les statuts permettent désormais aussi l’exclusion d’Equity Partners peu performants selon les normes du big four.
Le texte reste néanmoins muet sur la procédure à suivre, notamment sur la manière de décompter les bulletins de vote, blancs et nuls entre autres. Ces règles, censées protéger les associés contre une expulsion intempestive, imposent un vote à la majorité des trois quarts pour mettre un des Equity Partners hors-jeu, mais ne fournissent pas le mode d’emploi détaillé. S’agit-il de la majorité qualifiée (les votes blancs équivalent alors à des votes contre) ou de la majorité des votes exprimés, comme le prévoit dans certains cas le droit des sociétés au Luxembourg depuis un remodelage législatif en 2006 et comme c’est également l’usage à la Chambre des députés où l’on ne prend pas en ligne de compte les bulletins blancs ou nuls ?
Dans le cas d’OGM, cette nuance prend toute son importance, puisqu’à l’assemblée du 27 janvier (pour dire l’ambiance qui régnait ce jour-là au siège de PWC, un huissier y fut même convoqué), la motion sur son expulsion fut adoptée par 37 votes pour, onze contre et deux abstentions. Or, pour obtenir une majorité des trois-quarts, il aurait fallu obtenir 38 votes positifs, selon la défense de l’ex-associé. Le comité de direction n’en a cure (il considère avoir « valablement » obtenu 77 pour cent des votes). La procédure de retrait forcé est validée par un « stratagème » : les deux votes nuls ne sont pas retenus. Pour le demandeur, ainsi que pour l’avocat du troisième associé fraîchement exclu, les abstentions ou votes blancs doivent être considérés comme opposés à la résolution. C’est d’ailleurs tout l’enjeu juridique qui est au cœur de la procédure en référé.
« Les abstentions sont considérées comme des votes contre, tous les articles de doctrine le disent », a soutenu l’avocat d’OGM. Si, a-t-il reconnu, le législateur a introduit, il y a quatre ans dans le droit luxembourgeois des sociétés de nouvelles règles prévoyant désormais que les abstentionnistes ne comptent pas, c’est dans le cas très particulier des grandes sociétés disposant d’une multitude d’actionnaires qui avaient tendance à s’abstenir et à paralyser ainsi le fonctionnement de la société. Le vote « truqué » du 27 janvier constitue « une voie de fait inadmissible » pour l’avocat d’OGM et justifie la présence de l’associé limogé devant la juge des référés.
Le licenciement économique d’OGM fut expédié en un temps record : le 8 janvier, le conseil de surveillance de PWC Luxembourg donne mandat au comité de direction de lancer la procédure de retrait forcé si les négociations de sortie n’aboutissent pas avec les deux associés devenus indésirables. Cinq jours plus tard, la procédure d’exclusion est lancée contre OGM : « on n’a même pas pris la peine de négocier », a indiqué son avocat. Le partner incriminé reçoit une lettre recommandée où le tutoiement est de rigueur pour expliquer le pourquoi du limogeage : difficultés économiques de l’activité de conseil, déficitaire depuis de longues années avec pour conséquence la profonde restructuration de cette branche, constat de la « faible performance » de l’homme et de ses rémunérations importantes. Il gagne, selon les informations révélées à l’audience, deux tiers de plus que la moyenne des autres associés de la branche du consulting. Soit 28 000 euros par mois, en plus de la voiture de service.
Un poste à responsabilités équivalentes à celles qu’il occupait à Luxembourg lui sera même proposé à Bruxelles. Proposition qu’il décline. « Sa seule réaction sera de demander : combien ? La seule chose qui l’intéressait, c’est une compensation financière et quand le montant lui fut annoncé, ça a à peine duré dix minutes », a relevé l’avocate des 46 associés de PWC en présentant sa version des faits. L’intransigeance d’OGM et ses prétentions financières « excessives », a-t-elle encore fait valoir, ont fait échec à la procédure de négociation à l’amiable, obligeant le comité de direction à passer à la manière forte et ainsi au retrait forcé en invoquant l’article 38 des statuts. La procédure devant le tribunal des référés pour cette « voie de fait » constitue à ses yeux une manière de faire pression pour que ses parties cèdent aux exigences financières d’OGM. Il n’y aurait pas non plus, selon l’avocate, de préjudice financier à invoquer, étant donné que l’ancien partner de PWC, encore en préavis, continue à toucher son salaire. Les dirigeants de PWC avaient mis sur la table un package : six mois de préavis, avec dispense de le prester, et un an de revenu. Une « base de discussion » que l’associé, avec ses 25 ans d’expérience derrière lui, dont une grande partie chez PWC, refuse, la jugeant insuffisante au regard des pratiques chez les big four et dans les grands cabinets d’avocats.
La juge des référés rendra son ordonnance le 2 juillet.