Limpression en trois dimensions d’armes à feu est, sans surprise, devenu un enjeu majeur aux États-Unis. Un juge fédéral a décidé cette semaine à Seattle de bloquer la publication en ligne de fichiers permettant l’impression d’armes, en réponse à la demande de procureurs de 19 États qui faisaient valoir que cette publication risquait de faire grimper encore davantage le niveau de violence résultant de l’ubiquité des armes dans la société américaine.
Defense Distributed, une entreprise texane qui voulait publier ces fichiers gratuitement, ne pourra donc pas le faire, sauf à s’exposer à des poursuites pénales.
La décision du juge est motivée par la perspective que l’impression en 3D d’armes à feu débouche sur la multiplication d’armes échappant à toute détection et à tout inventaire. Selon le juge Robert Lasnik, les procureurs plaignants ont « une crainte légitime qu’ajouter des armes indétectables et intraçables à l’arsenal déjà existant augmenterait probablement la menace de violence à laquelle eux et leurs administrés sont déjà exposés ». Lasnik se référait aussi au caractère instable et au tir imprécis de ces armes à feu, qui aggravent selon lui la menace qu’elles représentent pour le public. Arbitrant dans le conflit entre les droits conférés par le Premier amendement, qui protège la liberté d’expression et au nom duquel la société texane dirigée par Cody Wilson entend défendre son intention de mettre en ligne ses fichiers, et les craintes des procureurs en matière de sécurité, Lasnik a estimé que les premiers étaient considérablement moins pertinents que les secondes.
Wilson, qui a imprimé dès 2013 son premier pistolet, a qualifié la décision du juge de « farce ». Alors qu’il s’apprêtait à les publier légalement fin juillet dernier, dans le cadre d’un accord avec le ministère de la Justice lié à la réglementation sur l’exportation d’armes, Lasnik l’a stoppé dans son élan par le biais d’une injonction valable sur tout le territoire des États-Unis. Celle-ci venait à échéance cette semaine et a été prorogée par le même juge. Outre le Premier amendement,
le débat porte aussi sur le Deuxième amendement, qui aux yeux du lobby des armes sanctifierait aussi la liberté d’imprimer des armes en 3D. Les adversaires de ce lobby voient au contraire le risque que mêmes les réglementations quelque peu contraignantes sur le port d’arme qui ont le mérite d’exister dans une partie des États américains soient rendues inopérantes par la généralisation de ce nouveau type d’armes, que les intéressés peuvent produire à domicile. Sur ce point, un des plaignants a fait valoir que ce ne sont pas des citoyens respectueux de la loi qui vont typiquement s’équiper de ces armes, et certainement pas à des fins légitimes, et que celles-ci ne sont donc pas protégées par le Deuxième amendement.
Dès le lendemain de l’injonction du juge Lasnik, Cody Wilson avait trouvé la faille : celle-ci lui interdit de publier gratuitement les fichiers, mais pas de les vendre, ce qu’il a indiqué vouloir faire dorénavant, à des prix pouvant descendre jusqu’à un cent. Une solution à laquelle cet enthousiaste de l’Open Source rechignait jusqu’à présent, mais qui lui semble aujourd’hui la meilleure solution.
Si le débat juridique autour de ces armes en auto-production a pris cette ampleur, c’est aussi parce que les législateurs ont été incapables de les réglementer. Il porte du coup sur des considérations techniques passablement obscures, revenant en partie à des batailles de souveraineté entre administrations (ministères des Affaires étrangères, de la Justice, du Commerce).
Le résultat de ces joutes administratives et juridiques complexes est qu’aujourd’hui, la recette de Cody Wilson pour imprimer des armes à feu chez soi peut légitimement être transmise par email ou par courrier traditionnel, mais pas mise en ligne. Une situation ubuesque, mais qui va probablement perdurer, à l’instar du patchwork de lois disparates qui régissent aujourd’hui le port d’arme dans les différents États.