Alex Jones, l’animateur du site d’extrême-droite InfoWars, a tout pour plaire : propagateur impénitent des thèses conspirationnistes les plus échevelées, il est, de l’avis général, raciste et homophobe. Il a joué un rôle non négligeable dans la diffusion de mèmes favorables à Donald Trump ces dernières années, se fichant éperdument de tout respect pour la bienséance ou pour les faits. Parmi ses tirades les plus odieuses figurent des questionnements sur la réalité de certaines fusillades dans des écoles, qui ont hérissé les parents des victimes. L’app d’InfoWars, mise en ligne récemment, a eu un succès remarquable, devenant rapidement la 33e plus populaire des applications de news de l’App Store.
Alors que plusieurs grandes plateformes du Net, Google (y compris YouTube, qui représente un canal de diffusion essentiel pour Jones), Apple et Facebook (avec l’exception notable de Twitter) ont commencé à l’exclure, le débat fait rage aux États-Unis sur le rôle de censeur qui leur échoit désormais de facto. S’il y a consensus sur la notion que ces plateformes ont le droit de déterminer si un contenu spécifique est compatible avec leurs conditions d’utilisation, des discussions homériques portent en revanche sur la situation de monopoliste dont jouissent plusieurs de ces plateformes et au pouvoir de censure qui leur échoit de ce fait. Le pays du sacro-saint 1er amendement découvre au détour de cette affaire qu’avec la montée en puissance des géants du Net, les concepts-mêmes de censure et de liberté d’expression ont pris une tout autre tournure.
Google, Apple et Facebook ont retiré certains clips d’Alex Jones, mais pas tous. Twitter le laisse baver son venin sans filtre. Est-ce bien à ces plateformes de décider qui peut et qui ne peut pas s’exprimer, s’interrogent les commentateurs. Et si ce pouvoir de décision leur revient non seulement au plan pratique, mais aussi en termes normatifs, n’est-ce pas le moment de repenser comment est régulée la liberté d’expression aux États-Unis ?
En effet, en tant qu’entreprises privées cotées en bourse, ces plateformes peuvent se permettre de laisser dans l’ombre leurs critères d’appréciation sur ce qui peut causer une exclusion (doit-il y avoir récidive dans l’infraction aux conditions d’utilisation ? et si oui, combien de fois ? s’il y a exclusion, sur quels critère est déterminée sa durée ? quels sont les contenus exclus, lesquels sont maintenus ?). Ces règles, auxquelles les utilisateurs sont contraints de souscrire pour pouvoir publier, sont souvent floues, et, de crainte de se retrouver en porte-à-faux, les plateformes se gardent la plupart du temps de préciser ou de rendre publics leurs critères de décision.
Les plateformes ont mis en place des procédures qui permettent aux internautes de dénoncer des contenus jugés contraires aux conditions d’utilisation et, en parallèle, des dispositifs faisant appel à l’intelligence artificielle qui parcourent les contenus en ligne pour traquer d’éventuelles infractions.
Parmi les sorties qui ont contribué à faire exclure Alex Jones de YouTube figure sa diatribe contre David Hogg, un des survivants du massacre à l’arme automatique qui a endeuillé un lycée de Floride, en février dernier, qu’il accusait d’être un « acteur de crise ». Dans d’autres clips retirés plus récemment, Alex déversait sa haine des musulmans et des transgenres. Après la purge partielle des contenus d’Alex Jones sur les différentes plateformes, l’app d’InfoWars, qu’Apple a jugée conforme à ses règles et laissée en ligne, a eu un regain de popularité sur l’App Store, grimpant à la quatrième place des applications de news gratuites, devançant celles de Google News, CNN et Fox News. Soutien ou curiosité ? En tout cas, des journalistes et des juristes spécialistes de la liberté d’expression se sont insurgés contre le fait que les purges aient été opérées par les différentes plateformes pratiquement au même moment, y voyant le signe de fortes pression politiques, alors qu’à leurs yeux, seule une application stricte des conditions d’utilisation devrait pouvoir déclencher les exclusions. Résumant ce sentiment, Slate a titré que « personne n’a voté pour Facebook ou Apple pour qu’ils traitent le cas Alex Jones ».