La femme de Gilles

Les yeux d'Elisa

d'Lëtzebuerger Land du 16.09.2004

Austère n'est pas le mot. Sobre plutôt. Ou simple peut-être. D'une simplicité poétique. La vie que mène Elisa se passe entre ses quatre murs, parfois dans le jardin, rarement dans les rues de la petite ville ouvrière du Nord de la France, à l'ombre des hauts-fourneaux, dans les années 1930. Elisa est la femme de Gilles, ouvrier à l'usine - le film s'ouvre sur des images de coulées d'acier, une ombre d'un homme devant une coulisse de flammes, et Mistinguette qui chante fièrement C'est mon homme. Elisa aime son Gilles, lui a donné deux belles filles jumelles et passe ses journées à attendre que son mari rentre. Elisa et Gilles ne se parlent jamais, ou presque. C'est comme ça chez eux. Au début, quand Gilles rentre, il lui fait l'amour, sans parler. Mais peu à peu, ils vont s'éloigner, elle est à nouveau enceinte, le soupçonne de voir une autre femme. Sa propre soeur à elle, Victorine (Laura Smet, une révélation) - jeune, citadine, aguicheuse, pleine de vie. Alors Elisa passe son temps à scruter Gilles (Clovis Cornillac, un peu lourd), ses moindres gestes, les moindres détails de sa vie. Et elle finira par accepter sa passion pour Victorine, par amour pour son mari. La femme de Gilles, le troisième film de Frédéric Fonteyne, coproduit par la luxembourgeoise Samsa Film et partiellement tourné au Luxembourg, est un film presque muet. C'est un film très visuel, qui s'attache à montrer les choses, par des images, des bruits, des détails, parfois on devinerait presque les odeurs. C'est un film charnel, très sensuel, qui s'attache à rendre palpable la douleur muette de cette femme qui pousse son amour pour ce macho dominant jusqu'à l'abnégation, qui est prête à accepter l'adultère pour pouvoir garder son mari. Frédéric Fonteyne dit d'Elisa qu'elle est un personnage absolu, niée complètement par son homme. Pour montrer son isolement, il a filmé toute l'histoire à travers ses yeux : elle ne peut que deviner la passion qui lie son mari à sa soeur, avec elle, le spectateur ne peut que scruter leurs moindres faits et gestes, leurs rires ou leur intimité apparente. La femme de Gilles est un film sur l'amour dans sa forme la plus pure. Contemplatif plutôt que démonstratif, il montre les petits changements dans la relation apparemment banale de Gilles et d'Elisa : leurs positions au lit, pour dormir ou en faisant l'amour, leur face-à-face en mangeant, le regard que porte Elisa sur la nuque, un vêtement, la main de son mari. Virginie Saint Martin, la chef op', a créé des images absolument sublimes, des gros plans sur une abeille qui bourdonne autour d'une fleur, le jeu de lumière derrière des volets fermés en été, les gouttelettes de transpiration dans le décolleté d'Elisa, le blanc immaculé de la neige, la tristesse de l'éternelle pluie. Mais sa caméra s'attache avant tout à Emmuelle Devos, superbe, qui incarne Elisa : elle devient comme ses lunettes, constamment collée en gros-plan sur elle. La présence ou l'absence des autres - même les enfants ne semblent être que des éléments du décor parfois - est montrée par des flous, un travail sur la profondeur et les champs et contre-champs. Le roman de Marion Bourdhouxhe datant de 1936, les scénaristes (Frédéric Fonteyne, Philippe Blasband et Marion Hänsel) ont respecté l'époque originale, l'histoire pouvant être considérée comme universelle. L'absence de radio, de télévision ou de tout autre bruit venant de l'extérieur fait de cette maison - entièrement construite à Esch-sur-Alzette pour le tournage - un véritable huis clos, même étouffant par moments. Mais les qualités formelles du film, qui en font un vrai régal visuel, ne suffisent pas toujours pour cacher l'agacement qu'on peut ressentir face à la passivité de cette femme soumise ou la définition réactionnaire des rôles dans ce couple. Et surtout des longueurs - souvent voulues, car devant créer une autre temporalité - qui, à force, gâchent parfois le plaisir qu'on peut avoir à emmagasiner tous ces magnifiques tableaux.

La femme de Gilles, un film de Frédéric Fonteyne, d'après le roman de Madeleine Bourdouxhe, avec Emmanuelle Devos, Clovis Cornillac et Laura Smet, coproduit par Samsa Film, sortira dans les salles luxembourgeoises le 8 octobre ; www.lafemmedegilles.com.

 

josée hansen
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