L’ancienne journaliste et syndicaliste, Michelle Cloos, revient chez Editpress, la maison qui l’a vue naître professionnellement

De la Maison du Peuple à Belval-Plaza

Michelle Cloos  (au centre) lors du  1er mai de l’OGBL à l’Abbaye Neumünster
Foto: Olivier Halmesth
d'Lëtzebuerger Land vom 26.04.2024

Michelle Cloos prend officiellement ses fonctions de directrice générale du groupe Editpress ce mercredi 1er mai, jour de la fête du Travail. Un symbole pour cette ancienne journaliste au Tageblatt qui revient chez son premier employeur après un long crochet par l’OGBL, actionnaire principal de la maison d’édition eschoise. La rédactrice du ressort Politik avait rejoint le syndicat ouvrier en septembre 2014. Elle y était entrée comme secrétaire en charge des Services et de l’Énergie. Elle a entretemps adjoint la compétence des Transports, un secteur en grande mutation depuis 2020 et la pandémie de Covid-19. Michelle Cloos a gravi les échelons en interne. Quand Nora Back (secrétaire générale depuis un an) a accédé à la présidence de l’OGBL en décembre 2019, Michelle Cloos a intégré le bureau exécutif. Y siègent les douze caciques du syndicat, dont Véronique Eischen, dont elle remplace aujourd’hui l’époux, Jacques, chef temporaire qui dure à la tête d’Editpress depuis septembre 2021.

Le chasseur de tête missionné pour le remplacer a failli. Michelle Cloos, au conseil d’administration d’Editpress depuis mai 2023 (représentant l’actionnaire), fait figure de femme providentielle, capitalisant notamment sur l’expérience acquise à l’OGBL. Pendant dix ans, avec son béret de militante et son rouge à lèvre teinte socialiste, Michelle Cloos a ouvert les cortèges et porté haut les couleurs du syndicat des travailleurs. En coulisse, face au patronat, ce sont les droits des travailleurs qu’elle a défendus. Cette décennie sous la bannière de l’OGBL lui a enseigné le droit du travail, la lecture de bilan ou encore la prise de parole publique, des apprentissages nécessaires à des fonctions managériales que sa formation littéraire à la Sorbonne ne lui a pas prodigués.

Son accession à la tête d’Editpress est-elle synonyme de reprise en main par l’actionnaire ? Face au Land mercredi, Michelle Cloos répond qu’il s’agit d’un choix éminemment personnel. La direction de l’OGBL aurait été « surprise » lorsqu’elle l’a informée de sa volonté de réorienter sa carrière. « J’espère aussi qu’ils ne sont pas contents de se débarrasser de moi », confesse la syndicaliste sur le départ. C’est d’ailleurs officiellement en vacances, entre deux missions, que Michelle Cloos nous accorde un créneau, dans le nouveau siège d’Editpress, au premier étage de la galerie marchande Belval-Plaza, à côté du MediaMarkt. Encore un symbole. Le centre commercial a été construit sur les friches d’ArcelorMittal. Le sidérurgiste n’a plus qu’un four électrique sur cet ancien emplacement phare du Luxembourg de l’acier. Depuis leur open-space, les salariés d’Editpress admirent le haut fourneau éteint par l’Arbed en 1997.

Michelle Cloos rappelle son « lien émotionnel » avec le Tageblatt. Elle avait quitté la rédaction « fatiguée » et mue par « l’envie de tester autre chose ». Son accession au poste de rédacteur-en-chef adjoint avaient donné lieu à des soupçons de favoritisme dans la rédaction où d’aucuns la voyaient comme la chouchoute de Danièle Fonck, dont la statue commençait alors à vaciller. « J’avais des contacts avec des gens de l’OGBL », recadre Michelle Cloos, calmement. Elle travaillait justement sur le monde syndical. Michelle Cloos passe subitement d’auteur à sujet d’articles.

L’intéressée avait rejoint la rédaction en février 2009, alors qu’elle était « tutrice de langue française à la Sorbonne » (selon son profil Linkedin). Michelle Cloos était revenue de Paris pour les fêtes de Noël. Sa mère lui avait parlé des recrutements en cours au Tageblatt, dont elle avait été elle-même brièvement correctrice avant de devenir institutrice. Michelle Cloos avait postulé sans grand espoir. Elle avait été rapidement reçue par le rédac’chef adjoint Francis Wagner. Danièle Fonck, la patronne de la rédaction, avait rejoint l’entretien. Michelle Cloos organisait fissa son rapatriement. « Ils m’ont prise moi, une étudiante que personne ne connaît », commente-t-elle aujourd’hui. L’amoureuse de la langue de Molière s’est retrouvée à écrire dans celle de Goethe. Pour son premier article en février 2009, « Die Türkei, ein Vorteil für die Europäische Union », Michelle Cloos a couvert une intervention de Jean Asselborn sur l’adhésion de la Turquie à l’UE. Son premier commentaire (« Die Frauen des Mullah-Regimes »), le 17 août 2009, elle l’a consacré aux femmes-ministres du nouveau gouvernement iranien. « Die modernen Frauen Irans wünschten sich bestimmt lieber liberale Männer in der Regierung als Frauen, die dem Mullah-Regime ihre Treue erweisen », écrit-elle. Michelle Cloos milite pour le droit des femmes. Son passé de lutte a commencé en 2003, contre la guerre en Irak. Sa conscientisation politique est intervenue tôt, détaille-t-elle, avec des conversations menées avec deux parents instit’ et deux sœurs ainées.

Comme une opération de communication de la Clinique Bohler via Paperjam en informe, Michelle est née le 13 mai 1985 route d’Arlon (son emplacement avant le Kirchberg). Son avis de naissance ne paraît d’ailleurs pas dans le Tageblatt, mais dans le Luxemburger Wort, dans un numéro très spécial, celui du 17 mai, consacré à la visite du pape Jean-Paul II au Grand-Duché. (Ce numéro témoigne d’ailleurs de la puissance de la rédaction du quotidien de Gasperich qui consacre plus de vingt pages à la visite papale au Grand-Duché, « Ein historischer Tag für Luxemburg ».) Le foyer Cloos-Conter vivait alors à Beggen. Michelle Cloos a ensuite grandi à Kehlen puis à Bertrange. Elle a poursuivi ses études secondaires au Lycée de garçons au Limpertsberg. Elle est une « Eschoise d’adoption ».

Cette semaine, la même-pas-quarantenaire prend la direction d’un groupe de presse en redressement. Michelle Cloos ne veut pas préjuger des discussions qu’elle aura ces prochains jours avec ses collègues de la direction ainsi qu’avec le conseil d’administration. Editpress a traversé cinq années pénibles. Du point de vue financier, des dettes abyssales ont été mises à nu après le départ de Danièle Fonck et d’Alvin Sold en 2018. Jean-Lou Siweck (transfuge du Wort) avait entrepris une restructuration du bilan. Elle est passée par une douloureuse fermeture de l’hebdomadaire Le Jeudi et la vente du siège historique rue du Canal à Immobel. Selon les derniers comptes publiés, les pertes se limitent à quelque 30 000 euros en 2022.

Michelle Cloos n’aurait pas été mandatée par l’OGBL pour vendre, « non ». L’imprimerie ? « Pour l’instant elle est là. Pour nous c’est important », justifie la nouvelle patronne. Son intérêt est « stratégique », voire revêt « une dimension de souveraineté ». « C’est la dernière rotative du pays. L’État peut voir un intérêt à de la distribution papier en cas de défaillance du digital », poursuit Michelle Cloos. Qu’adviendra-t-il de la Revue, qui plombe encore les comptes ? La direction se donne du temps, au moins un ou deux ans, pour procéder à une évaluation. Des investissements ont été consentis ces deux dernières années. « C’est un beau produit avec une nouvelle approche. Le lectorat du Tageblatt peut dorénavant en profiter et du point de vue des annonceurs, c’est une opportunité », avance encore la directrice. Michelle Cloos se montre également satisfaite du Quotidien (« un très bon produit »), joint venture avec le Républicain Lorrain. Michelle Cloos exprime sa confiance envers les équipes à la tête des rédactions. Ces dernières ont déjà subi de nombreux changements ces derniers mois. La nouvelle patronne rappelle l’importance de « la stabilité et de la continuité ». Editpress, fondée en 1913, emploie 381 personne selon le site internet du groupe.

Pierre Sorlut
© 2024 d’Lëtzebuerger Land