La lente mue du Musée national de la Résistance (MnR), augmenté de nouveaux espaces et d’une muséographie contemporaine durera encore jusqu’en 2023. Patience donc. Il est entièrement fermé depuis septembre 2021, y compris le musée transitoire, qui depuis 2009, occupait l’aile du bâtiment où se trouvait la Justice de Paix. Une visite du chantier avec Frank Schroeder et avec Nathalie Jacoby de Njoy architecture inside, en charge de la muséographie, nous permet cependant d’évoquer ce qui fera, à partir de 2023, du MnR, un musée vivant, interactif et devrait attirer un nouveau public.
De l’extension du MnR signée du bureau d’architecture Jim Clemes, on ne voit encore que la façade sur la rue de l’Alzette. Ici se situera l’entrée pour les groupes scolaires, pour les ateliers pédagogiques et l’accès au sous-sol vers l’espace dédié aux expositions temporaires. La façade en briques noires, haute de cinq niveaux (les trois premiers sont dédiés au musée, sous-sol compris, au-dessus se trouvent les trois de la future administration) se détache des deux maisons voisines, des habitations de facture urbaine classique. Son expression est plutôt abstraite : une grande faille qui la traverse sur toute la hauteur, symbolise la fracture de la Deuxième Guerre mondiale, enserrée de part et d’autre par des blocs saillants en oblique de l’alignement de la rue de l’Alzette. On veut lire, dans son expression heurtée, une illustration du lien entre le MnR ancien et l’histoire contemporaine. telle qu’on l’y verra.
Ce qui demande de revenir d’abord sur l’histoire du musée et de son architecture. Récemment, d’aucuns se sont autorisés à dire que le style architectural du MnR construit au bout de la Place du Brill en 1956 par Laurent Schmit et Nicolas Schmit-Noesen, n’aurait pas déplu à Albert Speer, l’architecte d’Hitler. On espère que c’est par pure ignorance, car on rappellera qu’il résultait d’une souscription nationale à l’appel de la Ville d’Esch-sur-Alzette et des mouvements de Résistance, pour préserver la mémoire des victimes de l’occupation nazie au Luxembourg. Le jeune architecte Laurent Schmit (1924-2002), qui signait là une de ses premières œuvres – il réalisera durant la décennie suivante le nouvel Athénée de Luxembourg, bâtiment iconique de l’époque – fit preuve à Esch, avec son aîné Nicolas-Schmit-Noesen (1899-1964), de la solennité qui s’imposait. Sur cette même Place du Brill, Laurent Schmit édifia, certes dans un style adapté à une salle de spectacles mais également dans une facture typiquement années 1950, le cinéma Rex, devenu aujourd’hui un magasin de mobilier et d’objets pour la maison.
Le Musée national de la Résistance, heureusement, n’a connu ni destruction, ni changement de fonction. Dès son ouverture, il a abrité une exposition sur l’occupation nazie au Luxembourg et le traitement subi par les prisonniers politiques et les Juifs du Luxembourg. On y montrait le costume porté dans les camps de concentration et des objets qui avaient aidé à survivre ou évoquaient à jamais ceux qui les avaient fabriqués et n’étaient pas revenus. Remanié une première fois en 1987 sous l’impulsion de Robert Krieps alors ministre de la Culture, il pris le titre de « Musée national de la Résistance ».
La question d’une nouvelle approche muséographique se pose elle depuis 1998, mais un premier projet de l’architecte Jim Clemes et du scénographe Guy-Claude François resta sans suite. Quatre années passeront au cours desquelles l’association Les Amis du Musée national de la Résistance demandera le soutien et une proposition concrète au gouvernement. Un groupe de travail créé par le ministère de la Culture présentera alors un concept pour l’agrandissement et le renouveau du musée à la Ville d’Esch et au gouvernement. Après l’accord de principe, l’Œuvre nationale Grande-Duchesse Charlotte décida de soutenir financièrement le projet et un comité de pilotage fut mis en place en 2016 entre la Ville d’Esch, le gouvernement et l’Œuvre. En 2017, le MnR devint la « Fondation Musée national de la Résistance » et la nouvelle partie architecturale confiée à l’architecte Jim Clemes, l’architecture intérieure et la muséographie à Njoy.
Depuis le début du chantier en 2018, la partie du bâtiment occupée par la Justice de Paix jusqu’à son déménagement en 2012, a abrité un musée transitoire dédié à des expositions temporaires. Mais c’est déjà à partir de 2009, sous l’impulsion de Frank Schroeder, devenu directeur en 2008 que, partant du sujet de l’occupation nazie du Grand-Duché durant la Deuxième Guerre mondiale et du sort des Juifs au Luxembourg, les expositions (deux par an), avaient évoluées vers la prise de conscience de toutes les formes de racisme et d’atteinte aux Droits humains. On citera entre autres expositions celle sur le rejet des Roms au sein même des frontières de l’Europe (en 2012) ou l’apartheid en Afrique du Sud (en 2014).
Le sujet de l’exposition permanente, à la réouverture entière du MnR en 2023, retracera toujours l’histoire du Luxembourg sous l’occupation nazie. La nouvelle entrée se situera dans l’angle gauche de la façade principale, donnant à la très haute porte étroite d’origine, centrale et close, une symbolique puissante. On verra tout de suite un nouvel élément : un jardin du souvenir, qui abritera les douze urnes des camps, auparavant dans l’entrée du vieux musée. On passe ainsi d’une solennité oppressante à un lieu de recueillement mémoriel apaisé. Après l’accès équipé d’un accueil digne de ce nom et d’une petite médiathéque et espace de recherches interactif, on abordera un nouveau parcours revu et augmenté, où les événements et le quotidien de la Deuxième Guerre mondiale au Luxembourg seront abordés par le biais de témoignages individuels projetés dans les « niches » latérales. Voir des vidéos et entendre des voix raconter leur histoire, rendra plus vivant, pour la jeune génération, un passé qui s’éloigne inexorablement. L’atrium pourra servir d’espace de conférences. À l’étage, en mezzanine, on visionnera des témoignages de victimes de guerre et de dictatures contemporaines, réfugiés au Luxembourg. La production est en cours, comme le mur des citations en rapport avec les Droits humains.
Le parcours de l’exposition permanente se poursuivra en passant à droite du grand escalier dans la nouvelle partie construite par Jim Clemes. Ici, depuis un étroit escalier central dans les mêmes briques noires que celles de la façade sur la rue de l’Alzette, on descendra vers un nouvel espace pour les expositions temporaires. Au rez-de-chaussée, on pourra voir la deuxième partie de l’exposition permanente. Ici, le visiteur trouvera les repères historiques de l’occupation du Luxembourg, de 1940 à 1944, suivant une time line qui permet de comprendre le contexte, l’occupation et ses conséquences sur la vie quotidienne. Résister ou collaborer, la répression, les camps de prisonniers et d’extermination, présentés par thématiques, suivent au deuxième étage. C’est ici aussi que l’on reverra les éléments constitutifs de l’ancien MnR, les objets témoins des camps.
Au premier étage, une baraque du camp de Hinzert est insérée dans le parcours muséal. Elle illustre le contexte du sort réservé par les nazis à ceux qui avaient choisi de résister. La baraque a été identifiée comme telle par Robert Krieps pour y avoir été prisonnier politique et classée ensuite comme monument. Ce morceau de réalité historique complète le témoignage par la représentation picturale qu’en avait faite Foni Tissen, en 1956, sur la fresque du mur de fond de l’atrium central. L’exposition permanente, se termine, après le passage par la baraque, sur l’après-guerre et la Déclaration des droits humains, résolution prise en 1948 aux Nation Unies et qui fait le lien avec la mezzanine et la vue plongeante sur le grand hall central, entre le Luxembourg occupé depuis l’invasion le 10 mai 1940 jusqu’à la Libération à l’automne 1944 et les violations des Droits humains qui ont eu lieu et qui continuent depuis de par le monde.
Encore des incertitudes
Avant la réouverture complète en 2023, on espère voir l’exposition Masereel+Sulaiman / Qui cherche la Paix. Une exposition qui, dans le fond comme sur la forme, rallierait un public jeune intéressé par la bande dessiné et illustrerait la nouvelle manière d’exposer du Musée National de la Résistance. Car dans cette exposition, se rejoignent l’engagement social et politique de deux artistes. Celui volontaire et précoce du graveur pacifiste belge Frans Masereel (1889-1972), dès la Première Guerre mondiale et celui du dessinateur syrien Hamid Sulaiman, né à Damas en 1986 et arrêté en 2011 pour sa participation au printemps arabe. Deux destins, deux dessins marqués par les événements subis qui ont changé le cours de leur vie.
Un conditionnel est encore de mise à la date de bouclage du présent article. Il reste une incertitude sur Masereel+Sulaiman / Qui cherche la Paix, la première exposition temporaire, prévue du 18 février au 14 août 2022, dans le cadre de Esch2022. Le dessinateur Hamid Sulaiman y participera-t-il ? Esch aura-t-elle la primauté de la parution de son livre The Life and times of Frans Masereel (éd. Casterman, sur un scénario de Julian Voloj) ? Incertitude qui devrait être levée le 14 octobre, quand, Frank Schroeder donnera plus d’explications sur la programmation complète, le nouveau titre du musée, son identité graphique, ainsi que l’annonce de la parution de l’ouvrage Le Luxembourg et le Troisième Reich, un état des lieux.
Ecce Homo, l’autre exposition temporaire dans le cadre de Esch2022, à partir du 2 septembre, sera consacrée à l’artiste britannique d’origine sud-africaine et juive lituanienne Bruce Clarke. Le plasticien a travaillé sur les lieux de mémoire du génocide des Tutsi au Rwanda. Ce sera par la mémoire des corps, un façon de revenir sur les souvenirs qui s’y gravent.