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Univers croisés

d'Lëtzebuerger Land vom 26.06.2003

«If you don't like what you hear, don't listen / If you don't like what you see, don't look» murmura un dimanche soir la voix de Sascha Ley sur la chaîne de télévision française Arte. C'était le 17 novembre, lors du troisième court-métrage de la série de quatre films de danse contemporaine DanseDanseDanse, coproduite e.a. par Arte France, Heure d'Été Productions (Patrice Nezan) et la luxembourgeoise Samsa Film (Anne Schroeder). Trois des quatre films ont été tournés au Luxembourg. Leur principe ressemble un peu à celui des Portraits d'artistes de la même Samsa Film, qui croise le regard d'un cinéaste avec celui d'un artiste plasticien. Ici, le concept étant de croiser l'univers d'un chorégraphe et celui d'un cinéaste. 

Sept mois après leur première diffusion sur Arte - qui leur a valu des critiques dithyrambiques dans la presse française - et alors même que les quatre films à 26 minutes chacun tournent déjà avec un certain succès dans les festivals, la série fut enfin présentée au Luxembourg, dans le cadre du Festival Cour des Capucins, mercredi soir à la Kulturfabrik à Esch. Une dernière projection y est prévue ce soir. Et les films valent le déplacement, pour leur beauté, l'innovation de la danse et la richesse des univers - africains, indiens - sur lesquels ils s'ouvrent.

Le plus «luxembourgeois» d'abord. If not, why not? du chorégraphe Akram Khan, réalisé par le jeune réalisateur luxembourgeois Daniel Wiroth: un véritable petit bijou, tellement les deux créateurs semblent avoir trouvé un langage commun. Là où Akram Khan, chorégraphe britannique de parents bengalis, marie les mouvements du kathak, danse classique indienne, à un vocabulaire résolument contemporain, les mouvements de caméra utilisés par Daniel Wiroth, certains de ses trucages «artisanaux» - comme cette goûte qui vole en gros plan - enrichissent ce sentiment de légèreté, de spiritualité. Parfois, les danseurs glissent sur le sol sans bouger les pieds, et on pense de suite au Jitzert dans Mécanomagie de Bady Minck. Le plus étonnant dans le mouvement des danseurs sont les changements de rythmes extrêmement brusques, d'une suite rapide et saccadée ils peuvent s'arrêter abruptement pour des équilibres très sereins.

Les deux volets du succès d'If not, why not?, ce sont, d'une part les décors de Christina Schaffer, qui a opté pour une rigueur et une épuration tout aussi conséquentes que le duo Khan/Wiroth: l'impressionnant intérieur d'une de ces tours de refroidissement de l'Arbed qui n'existent plus depuis lors, des murs blancs qui se déconstruisent sous nos yeux ou un carré noir et jaune dont les dalles se disloquent... tout ici est simplement beau. Puis il y a la musique de Serge Tonnar (dont les passages avec la voix de Sascha Ley), qui est sans aucun doute une de ses meilleures compositions jusqu'à présent - bien qu'il n'ait eu que très peu de temps pour l'écrire et qu'il n'ait pu travailler qu'a posteriori, c'est-à-dire une fois le film quasi achevé. Très sensible à ces deux univers visuels, Serge Tonnar a su transcrire leurs ambiances en musique, qui, tantôt plutôt d'inspiration orientale, tantôt plus occidentale, change tout aussi nettement de registre et de rythme que les danseurs d'Akram Khan. 

Notre deuxième coup de coeur de la série est Black Spring du duo Heddy Maalem pour la chorégraphie et Benoit Dervaux pour la réalisation (qui fut par ailleurs directeur de la photographie des frères Dardenne). Ici, l'épuration va encore plus loin, il n'y a ni musique, ni décor, les danseurs, tous africains, dansent sur un carré de sable dans le noir. Une femme au corps sculpté de muscles, seule par terre, ausculte son corps, qui se meut très lentement. Elle écoute ce qu'il lui dit, les bruits de son ventre deviennent rythme, très lentement d'abord, puis peu à peu, tout s'accélère. Des images soudain entrecoupent ces plans denses, ce sont des steppes africaines, c'est comme si son corps se souvenait. 

Black Spring est un film interrogeant le regard occidental sur l'Afrique, Benoît Dervaux filme avec un flou très artistique, de manière saccadée, en accéléré, faisant contraster les couleurs et les bruits de l'Afrique contemporaine vue avec un filtre presque romantique et les danses traditionnelles provenant avant tout du Nigeria, très athlétiques, proches de postures de guerre, dansées en studio.

Face à cela Chrysalis du chorégraphe Wayne McGregor et du réalisateur Olivier Megaton est presque trop facile, possédant une véritable trame narrative - un être mutant mi-homme, mi-robot, s'amourache d'une belle sylphide et veut devenir pour elle humain à part entière. Avec la mutation du personnage principal, les codes visuels changent eux aussi, de l'univers bleu, froid, technoïde, vers des tons plus chauds, des décors presque archaïques. On pourrait même reprocher à Olivier Megaton d'en faire un peu trop côté images, qui parfois sont presque surchargées. Piano di rotta d'Emio Greco et Jocelyn Cammack quant à lui raconte une quête existentielle d'un danseur seul dans le désert, ses angoisses, sa quête spirituelle, contrastant avec des gros plans de corps dansants en studio. C'est surtout très lourd en significations. Et sa fin est toute aussi abrupte que celles des trois autres films.

 

DanseDanseDanse, une collection de films de danse contemporaine. Avec: Chrysalis de Wayne McGregor et Olivier Mégaton, Black Spring de Heddy Maalem et Benoît Dervaux; If not why not? d'Akram Khan et Daniel Wiroth et Piano di rotta d'Emio Greco et Jocelyn Cammack; une coproduction d'Arte France, Heure d'Été Productions et Samsa Film; dernière projection ce soir, 27 juin, à 20 heures au Kinosch de la Kulturfabrik à Esch ; dans le cadre du Festival Cour des Capucins; renseignements sous www.kulturfabrik.lu ou par tél. : 55 44 93 1.

 

 

 

 

josée hansen
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