Projet [vitrin] sonore

My loneliness is killing me?

d'Lëtzebuerger Land vom 25.11.2004

La semaine dernière, du 15 au 19 novembre, les Luxembourgeois ont pu se consacrer à un de leur passe-temps favoris : le lèche-vitrine, musical et nocturne de surcroît. Le projet [vitrin] sonore est né de l'initiative indéniablement louable d'Embargo, sa fonction première consistant en une mise en abîme d'artistes luxembourgeois. Dans le sympathique cadre de l'Interview, bar à statut presque mythique, pas moins d'une quinzaine de musiciens et d'artistes se sont produits. Parmi eux, Kuston Beater, Monaural, Radic, Sug[r]cane, Circle around the Zero, Lo-fi, Veste et Raftside ont ainsi assuré une diversité sans pareil, et ce grâce à un vaste éventail de genres et de styles musicaux hétéroclites. Avant les concerts respectifs, un public averti a pu se laisser inspirer par une série de playlists. Un choix de personnalités du monde de la musique et de l'édition luxembourgeois ont réalisé des compilations à partir de leur musiques de choix: façon plaisante de se créer un aperçu de la vision de la musique de ces formateurs d'opinion1. Lundi dernier, le programme chargé a débuté par la prestation de l'excellent Kuston Beater. Musicien doté d'un laptop comme seul instrument, ce dernier a peint des paysages sonores aux mélodies et aux bruitages sous-jacents très séduisants. Le mardi, le contraste apporté par un Radic enragé, dj phare du drum'n'bass au Luxembourg, n'en a été que plus foudroyant: quatre mesures de percussions et de basses sauvages en boucle. L'avant-partie a été assurée ce jour-là par Monaural, projet solo de Dan Gehlen. La scène a ensuite accueilli mercredi soir deux artistes hors normes de Own records / Soundzfromnowhere. Emre Sevendik (Circle around the Zero) et Victor Ferreira (alias Sug[r]cane) ont invité les spectateurs dans un univers électronique aux sonorités plus mélancoliques pour le premier et plus rythmées pour le second. Tous deux ont cependant réussi à instaurer une atmosphère féerique, marquée par des fragments sonores aussi bien naturels que synthétisés. Jeudi a eu lieu la performance fortement anticipée de Lo-Fi. Le projet d'Olivier Treinen marquait un retour à une inspiration indie pop, mais dont le concept n'a néanmoins rien de traditionnel. Des riffs très accrocheurs sont à la base d'un chant élaboré et lors de certains morceaux, le chanteur/guitariste se fait même accompagner par une orchestration préenregistrée de guitare, percussions et plusieurs voix. L'ultime soirée a commencée avec l'authentique star qu'est Raftside. Une guitare et des lunettes à trois sous suffisent à ce dernier pour faire naître un personnage dont le public ne peut que tomber sous le charme. Puis Steve Bidinger, coorganisateur du projet [vitrin] sonore et musicien techno sous le nom de Veste a fait, avec des sons dub minimalistes, le lien entre le rock alternatif et Sonic, DJ au sens traditionnel du terme. Le duo s'est ensuite chargé (et ce de manière très probante) de l'ambiance pour marquer la clôture de cette semaine d'exhibition d'artistes luxembourgeois. Quand Raftside chantait My loneliness is killing me de Britney Spears, le public a sans doute eu un sourire au des lèvres. Force est de constater que la majorité des artistes présentés lors de ce projet sont des musiciens solitaires. Cela peut paraître normal pour les DJs, mais il est plus rare de voir des artistes du genre de Raftside seuls sur scène. Néanmoins a-t-on pu rencontrer d'autres musiciens solos comme Kuston Beater et Emre Sevendik, qui, eux, sont accompagnés par leur fidèle ordinateur portable. Musiciens? Le laptop permet par exemple à Sug[r]cane de gérer une série d'échantillons. Il s'agit là de samples, donc de voix d'instruments numérisés qui se succèdent en boucle. Aussi l'artiste peut-il, au gré de ses envies, ajouter ou éliminer un instrument au mix, ou encore y affecter un effet quelconque en temps réel. Même s'il est primordial de posséder en premier lieu de bonnes connaissances en matière d'informatique, l'oreille musicale n'en est toutefois pas moins indispensable : un genre nouveau de musiciens est né, ces derniers maniant un nombre d'instruments virtuellement infini. Les organisateurs, Marc Hauser, Steve Bidinger et Steph Meyers, sont incontestablement parvenus à concocter un mélange tout à fait réussi d'artistes intéressants et créatifs. La solitude des artistes sur scène n'était donc aucunement un signe de déclin, mais elle représentait sans doute une évolution, une tendance do-it-yourself que la musique semble vouloir épouser au cours de son évolution naturelle. Que ceux qui ont raté cette semaine et que ceux qui y étaient soient rassurés : Marc Hauser compte organiser une deuxième édition avec d'autres formations l'année prochaine. Chose que l'on ne peut qu'espérer, car les artistes ont non seulement été mis en valeur, mais le public a également su apprécier leurs qualités à leur juste valeur.

1 Les playlists sont disponibles sur www.embargo-lu.org.

Michel Welter
© 2024 d’Lëtzebuerger Land