Avant de lancer sa réforme de la loi sur les armes, le Luxembourg doit adapter sa législation de 1983. Histoire de calmer Bruxelles

Crans de sûreté

d'Lëtzebuerger Land vom 09.06.2011

D’abord le court terme : pour éviter une condamnation pour la non-transposition de la directive européenne relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes, la Chambre des députés devra voter un premier texte avant les vacances d’été. Passé le délai de transposition en juillet 2010, la Commission européenne a lancé, quatre mois plus tard, la procédure de mise en demeure contre le Luxembourg. Le gouvernement avait toutefois vu le coup venir et avait déposé, un mois auparavant, un projet de loi au parlement.

Il s’agit avant tout de mesures contre la fabrication et le trafic illicites d’armes. Le texte prévoit une obligation de marquage de ces petits et gros calibres, un numéro de série gravé dans l’arme, pour pouvoir l’identifier, en retracer l’origine et éviter copies et contrebande. C’est ce que prévoit aussi le protocole des Nations unies de 2001 contre la fabrication et le trafic illicites d’armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions.

Mais ces adaptations ne modifient pas fondamentalement la situation au Luxembourg, car elles concernent avant tout les pays producteurs d’armes comme l’Allemagne et la Belgique. Toutes les armes autorisées par le ministère de la Justice sont donc marquées, sauf les armes anciennes, les pièces de collection en quelque sorte. Le projet de loi introduit donc la distinction entre les armes qui datent d’avant 1900 – et qui n’ont pas besoin d’être marquées – et celles qui ont été fabriquées après cette date, dont la sophistication et la puissance ont connu un développement énorme depuis.

Le ministère s’appuie sur son expérience, comme aucun incident, suicide ou crime ne s’est produit depuis l’entrée en vigueur de la loi en 1983 avec une arme datant de l’époque des chassepots, escopettes et autres arquebuses, il en a déduit qu’ils sont moins dangereux et qu’il pouvait donc relâcher les contraintes pour les propriétaires de telles antiquités. Ils n’auront besoin d’une autorisation que s’ils emmènent ces armes hors de chez eux.

Ensuite, il faut adapter la loi au développement des armes qui ne sont pas à feu. La loi de 1983 ne connaît que les armes à air comprimé « classiques », et ne tient pas compte d’armes nouvelles qui fonctionnent par exemple avec un système électrique et dont la dangerosité est manifeste. Jusqu’ici, ces armes n’ont pas été soumises aux règles d’autorisation, comme elles n’ont pas été prévues par la loi, alors que certains jouets le sont. Régulièrement, les membres de la police, du Parquet et du ministère doivent se concerter sur des marchandises vendues aux stands du Mäertchen et de la Schueberfouer où ils doivent repérer ce qui est interdit. Le seul fait que certains jouets fonctionnent avec de l’air comprimé les situe dans la même catégorie qu’une arme classique.

Dorénavant, la distinction ne se fera plus selon des critères techniques, mais selon la puissance de tir de ces engins. Parce qu’il faut aussi prendre en compte les nouveaux sports de tir comme les soft air qui fonctionnent avec des cartouches de CO2 ou les marqueurs paint ball. Donc, tout ce qui a une puissance supérieure à 7,5 joules reste sous l’obligation d’une autorisation. Pour ce qui est des projectiles tirés par une puissance entre 0,5 et 7,5 joules, ils pourront bénéficier du régime simplifié. Selon le projet de loi, ces armes « peuvent être importées, exportées, acquises et cédées par des personnes majeures à des fins privées et non commerciales, et être détenues à leur domicile ou résidence habi­tuelle sans autorisation du ministre de la Justice ». Finalement, seules les armes soumises à autorisation devront être enregistrées au registre des armes.

En 2010, le grand-duché comptait 84 821 armes autorisées (contre 74 303 en 2003), pour environ 18 500 personnes. Cette augmentation s’explique, selon les responsables du ministère, par le fait que les propriétaires ne vendent pas forcément leur ancienne arme lorsqu’ils en achètent une autre. La plupart sont des fusils (20 983) et des carabines (32 372), servant surtout à la chasse. Les pistolets (20 670) et les revolvers (10 796) servent aux sports de tir. D’ailleurs, la moyenne des autorisations se situe autour de 242 par semaine. Elle connaît un pic pendant les semaines d’été, juste avant l’ouverture de la saison de chasse. Un permis d’armes de ­chasse autorise l’enregistrement de 22 armes, tandis qu’un permis d’armes de sport peut en lister 23. L’autorisation de détention d’armes est illimitée.

Parallèlement au vote du projet de loi, un règlement grand-ducal prévoit d’autres changements. D’abord, il n’y aura plus de distinctions entre les différentes autorisations quant à leur durée. Elle sera fixée à cinq ans. Ensuite, et le ministère s’attend là à des réactions négatives, les tontons flingueurs devront s’attendre à une augmentation substantielle des taxes. Le tarif de 17 euros pour les autorisations « classiques » sera fixé à cinquante euros, les autres (import/export, invité de chasse étranger) seront augmentés de quatre à dix euros. « L’idée est de calmer les ardeurs des amateurs d’armes qui n’arrêtent pas d’en acheter et d’en revendre à tout bout de champ, confie un membre du ministère de la Justice, comme chaque changement signifie une nouvelle autorisation, ils seront maintenant incités à regrouper leurs opérations pour éviter des frais. » Une question de simplification administrative, en quelque sorte.

À moyen terme, le gouvernement ne pourra pas repousser davantage une réforme complète de la loi sur les armes et munitions. Car le ministère a du mal à jouer son rôle de prévention des incidents. Actuellement, les autorités ne s’intéressent à la personne que lorsqu’elle introduit sa première demande d’autorisation de détention ou de port d’arme. C’est tout. Une enquête administrative examine les motifs du demandeurs et vérifie « s’il n’est pas à craindre que le requérant ne fasse un mauvais usage des armes, compte tenu de son comportement, de son état mental ou de ses antécédents », comme il est précisé sur le site du ministère. Concrètement, un questionnaire est adressé au demandeur, ensuite il est convoqué au commissariat de police pour une entrevue. Celle-ci vérifie s’il y a des antécédents avec la justice et émet ensuite un avis.

La procédure allemande par exemple, est plus lourde et exige une attestation médicale concernant l’état de santé mentale du candidat. « Ici, il nous est arrivé de demander un certificat médical, précise-t-on au ministère, et jusqu’à présent, personne ne s’y est opposé. Soit nous avons reçu l’attestation requise, soit la personne a retiré sa demande d’autorisation. » Il reste néanmoins que la loi ne prévoit pas cette possibilité. « C’est un instrument supplémentaire dont nous avons néanmoins besoin pour garantir la sécurité des citoyens. Tout comme il nous faudra organiser un meilleur échange d’informations entre les autorités pour pouvoir retirer un permis lors d’un incident. »

L’objectif de la « grande réforme » sera donc de donner des moyens légaux et procéduraux au ministère de la Justice pour obtenir des informations de la part de la police, du Parquet et des tribunaux. Par exemple lorsque la peine accessoire d’interdiction de port ou de détention d’armes a été prononcée par un juge. Si les autorités ne sont pas au courant de ce jugement, elles ne peuvent pas retirer l’autorisation. D’autres cas de figure sont les interventions en cas de violence domestique, de coups et blessures. « La loi actuelle est focalisée sur le demandeur, la personne qui souhaite obtenir une autorisation, explique-t-on au ministère. La réforme prévoit d’agrandir le champ d’action et de considérer la situation de toute la communauté de vie. Il ne suffira pas que le détenteur d’armes présente patte blanche, il faudra aussi vérifier avec qui il vit. »

En cas de pépin (l’ouverture d’une enquête, par exemple, ou un éloignement du domicile pour violence domestique), le ministère voudrait se donner les moyens de mettre la main sur les armes jusqu’à ce que la situation soit claire. Une solution de bon sens, mais cette mesure préventive devra néanmoins tenir la route d’un point de vue juridique. Il faudra aussi examiner si la réalisation de ces objectifs correspond aux principes de la protection des données, comme il s’agit d’informations sensibles qui devront être transmises systématiquement au ministère de la Justice. Un simple signalement sur une menace pourra-t-il suffire pour déclencher la machine ? Le texte devra définir le degré de gravité des faits signalés à partir duquel une intervention est justifiée.

Un autre point de la réforme sera la mise à jour concernant les armes blanches. Celles-ci sont aussi en plein essor et des objets les plus fantaisistes sont conçus pour en camoufler le véritable usage. Ainsi, un simple pendentif en forme de croix peut servir d’arme tranchante. Il faudra donc commencer par définir ce qu’est une arme blanche.

Une autre question qui mérite une attention particulière est la fixation d’un taux d’alcoolémie en cas de port d’arme, à l’instar de conduite d’un véhicule.

Quoi qu’il en soit, la philosophie de la loi de 1983 ne changera pas avec la réforme : le port d’armes restera toujours l’exception. Le citoyen n’a le droit de porter un flingue que s’il a une bonne raison et s’il peut montrer patte blanche. Même les cas de défense personnelle – au Luxembourg, une douzaine de personnes ont le droit de porter une arme constamment – doivent rester limités au strict minimum.

anne heniqui
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