Micropousses tech

d'Lëtzebuerger Land du 28.02.2025

Pour visiter la prochaine ferme urbaine à Luxembourg, il va falloir patienter encore un peu. La start-up Aurel&Axel en prépare l’ouverture partielle pour dans quelques mois, dans le cadre de la LUGA (Luxembourg Urban Garden Exhibition) au Kuebebierg, sur le Kirchberg. Les trois amis et associés Melvin, Aurélien et Axel, qui ont fréquenté la même école de commerce en France, se sont retrouvés à Luxembourg pour répondre à cet appel à projets LUGA qu’ils ont remporté en 2022 parmi plus d’une centaine de candidatures. L’aventure luxembourgeoise commence, après l’établissement d’une ferme urbaine à Nancy et des serres à Thionville. Actuellement, Aurel&Axel gère également des serres de culture en hydroponie à Bettembourg, une culture de plantes réalisée sur un substrat neutre et inerte (de type sable, billes d’argile par exemple), ce substrat étant irrigué d’un courant de solution qui apporte des minéraux et des nutriments à la plante. Avec leur solution, ils ont gagné un prix du Ministère de l’Économie…ils ont aussi réussi à être sélectionnés par le City Incubator de la Ville de Luxembourg.

Issus de familles agricoles, les associés s’intéressent tous les trois au coeur du métier, l’agriculture, mais pratiquent une division du travail assez distincte. Melvin s’occupe du marketing, de la communication et de l’image de marque, alors que Aurel prend en charge la production (les cultures, l’installation,…) et Axel le côté administratif et commercial ainsi que l’informatique. Avec leurs deux employés de formation maraîchers, ils travaillent bien plus que quarante heures par semaine : « Nous en sommes encore à un stade où il faut davantage augmenter la production pour devenir rentable. » Production qui couvre une diversité surprenante : légumes et fruits, herbes aromatiques, fleurs comestibles (bourrache et capucine), une quarantaine de micropousses différentes et surtout quatre sortes de champignons, destinés à être leur produit phare. « Pour l’instant on vend davantage de micropousses car il s’est avéré que leur culture est moins compliquée, plus productive que celles des champignons, mais les derniers sont des produits à plus grande valeur ajoutée. » Pleurotes, shiitake et erynjii sont au menu en ce moment, cultivés dans des containers maritimes dont Aurel&Axel possèdent une bonne douzaine désormais (à 30 000-40 000 euros pièce avec leur équipement technologique), et qu’ils sont en train, avec leur méthode, de faire patenter à l’aide de LuxInnovation. Avec huit containers en production, ils réussissent à rentabiliser les nouvelles acquisitions après un an environ.

Les paramètres tels l’hydrométrie, la température, le dioxyde de carbone dans l’air sont autant de facteurs qu’il faut maîtriser avec précision pour arriver au résultat optimal. Si leurs produits de maraîchage ne sont pas encore labellisés bio, le processus est en cours. Tous les champignons et micropousses le sont. « Nous entretenons de vrais laboratoires agricole », explique Melvin. Leurs expérimentations ont mené à un impressionnant arsenal de micropousses. À côté des espèces plus connues telles cresson, fenouil, basilic ou mélisse, on peut s’émerveiller devant des sortes plus exotiques : livèche, moutarde, mizouna, shiso pourpre ou toona…Même des produits dérivés tels de la bière infusée à la micropousse de coriandre ou de basilic citron ont vu le jour grâce à des partenariats gastronomiques avec des producteurs en France. Ou encore du vinaigre ou des glaces à la micropousse…Parmi les grossistes clients ils comptent désormais Metro, Grosbusch et Cactus. Au Luxembourg, les restaurants commencent à s’arracher les produits. Les micropousses sont d’ailleurs surtout utilisés pour leur aspect décoratif, tout comme les fleurs comestibles. En termes de comparaison de marché, il est intéressant d’observer que les clients luxembourgeois sont plus âpres dans les négociations tarifaires que de l’autre côté de la frontière…histoire de culture ?

Si l’équipe ignore encore le vrai potentiel de la nouvelle ferme urbaine en face de RTL, elle est convaincue de la valeur ajoutée qu’apportera leur présence en termes de visibilité dans ce futur quartier hype d’une capitale ultra internationale. Ils espèrent ainsi populariser leur idée de base, qui est de « donner une nouvelle jeunesse au maraîchage » et de « placer la vie du maraîcher au coeur de la ville », ainsi que de repenser l’agriculture en cultivant des produits à court circuit de production et forte valeur ajoutée : « Notre avantage est aussi de pouvoir proposer une offre de produits toute l’année, peu importe la saison. » Est-ce que Axel&Aurel se voit alors comme une concurrence aux agriculteurs traditionnels ? « En-dehors du fait que nous proposons des produits assez spécifiques, nous sommes clairement leur partenaires en reconnectant les citadins avec l’agriculture. » En contribuant à la visibilité agricole, en ouvrant de nouveaux horizons et en popularisant le concept, mais aussi en redirigeant les clients vers les agriculteurs ruraux. « Nous avons tous les trois grandi avec des parents qui bossaient comme des fous, en mettant toute leur énergie dans la terre et leur bétail, sans prendre de vacances, sans gagner des masses, pour l’amour du métier (et par nécessité). » Evoluer dans l’agritech est alors aussi une façon de rendre à ce secteur essentiel, qui subit à plein fouet les transformations du monde contemporain.

Parmi les précurseurs inspirants, Melvin nomme par exemple Infa, entreprise qui a initié un engouement pour les fermes urbaines un peu partout dans le monde notamment en tentant d’automatiser le plus possible les processus, ou Agricool, pionnier dans l’utilisation des containers comme cellules de production. Agricool a mis la clé sous la porte. « Le défi aujourd’hui est de faire marcher un projet viable économiquement, contemporain, mais pas totalement automatisé. » Le prochain défi ? Terminer la ferme urbaine à Luxembourg, faire fonctionner les deux fermes, et étendre le modèle avec des partenaires qui croient en eux.

Axel et Aurélien se sont par ailleurs récemment fait introniser comme disciples d’Escoffier, cette association à l’origine française qui a pour but de transmettre aux nouvelles générations de cuisiniers et gastronomes l’esprit du travail du chef français Auguste Escoffier. Connu pour la modernisation des recettes de haute cuisine, ce cuisinier, ancien militaire, était aussi célèbre pour l’ordre et le sens de la discipline qu’il imposait à ses employés. L’association poursuit également un but caritatif.

Béatrice Dissi
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