Le ministre à Cannes

Southland Tales

d'Lëtzebuerger Land vom 25.05.2006

Donato Rotunno revit. Heureux d'être là, à Cannes. Le réalisateur est venu présenter son premier long-métrage de fiction, Dark Places, au marché du film qui accompagne le festival. En deux projections, les professionnels avaient la possibilité de voir cette adaptation du Turn of the Screw de Henry James, écrit par Peter Waddington. Le scénario avait été proposé il y a trois ans à la société de production de Donato Rotunno, Tarantula, qui s'est d'abord uniquement lancée dans le montage financier du projet, sans véritablement trouver le réalisateur approprié. Jusqu'à ce que, poussé par son associé Eddy Géradon-Luyckx, Donato Rotunno décide de se jeter à l'eau – jusque-là, il avait surtout réalisé des documentaires politiques et quelques courts- ou moyens-métrages, dont notamment Landscape with a corpse – et de le réaliser lui-même. Ce qui n'était pas une mince affaire, vu la présence de stars comme Leelee Sobieski ou Tara Fitzgerald. Ou de sa propre fille, Cleo, dans un rôle difficile d'une enfant qui se fait violer. Or, si le montage de la production fut relativement facile, grâce justement à Leelee Sobieski, et si les préventes sur base du casting et du scénario s'annonçaient bonnes, les difficultés commencèrent avec le tournage, de février à avril 2005, entre autres au Luxembourg, dans des conditions difficiles, notamment à cause du froid. Mais les vrais problèmes débutèrent lorsqu'un des coproducteurs quittait la production sans crier gare – ce qui compromettait tout le film, voire jusqu'à la survie de la société. Mais en décembre de l'année dernière, après des mois d'efforts, Tarantuta a réussi à trouver un autre financier, qui fut prêt à prendre le risque. À la terrasse du pavillon luxembourgeois à Cannes dimanche, Donato Rotunno n'en revient toujours pas d'être enfin là avec son film terminé. Et les ventes s'annoncent bonnes, les sorties américaine et canadienne sont d'ores et déjà prévues, il devrait être présenté au Luxembourg en automne. «J'ai beaucoup appris sur ce film, dans tous les domaines, dit le réalisateur. Maintenant, je me sens prêt à faire un film plus personnel.» Pour le Filmfund luxembourgeois, ancien Fonspa (Fonds de soutien à la production audiovisuelle), l'annonce que Tarantula allait s'en sortir était rassurante. Après les années 2004 et 2005 très difficiles, sinon moroses, qui se seront soldées par la faillite de Carrousel Pictures l'année dernière, le secteur du cinéma luxembourgeois tente peu à peu de se remettre sur pieds. La présence luxembourgeoise est à l'image de cet état de santé: pas de film en sélection, ni officielle, ni dans une programmation parallèle ou off, mais cette excitation qui accompagne la reprise de l'activité. Perl oder Pica de Pol Cruchten, probablement le film le plus attendu de l'année au Luxembourg, est toujours en postproduction, dans l'attente de la musique, et devrait être prêt pour septembre. À l'entrée du pavillon luxembourgeois qui borde la mer, une vingtaine de fiches descriptives du Filmfund vantent les films, surtout des coproductions internationales, actuellement en production ou en postproduction: J'aurais voulu être un danseur d'Alain Berliner, Retour à Gorée réalisé par Pierre-Yves Borgeaud, Irina P. de Sam Gabarski, Deepfrozen d'Andy Bausch ou Comme tout le monde réalisé par Pierre-Paul Renders, pour n'en citer que quelques- uns. Mais le contexte reste fragile, la reprise est seulement ébauchée. Car en réalité, la petite industrie luxembourgeoise du cinéma a un problème structurel depuis quelques années: le système dit tax-shelter, instauré en 1988 et qui accorde aux producteurs de films un régime fiscal spécial donnant droit à un abattement fiscal maximal de trente pour cent du budget, n'est plus vraiment attractif car beaucoup d'autres pays européens, y compris des pays voisins, ont instauré des systèmes similaires. Depuis 2003, les producteurs réunis dans l'Ulpa (Union luxembourgeoise des producteurs audiovisuels) militaient pour une modification des critères de la législation actuelle. D'ailleurs, la loi en vigueur, qui avait été prolongée en 1999, expire de toute façon en 2008. L'année dernière, une réunion cannoise des producteurs avec le ministre des Communications, Jean-Louis Schiltz (CSV), leur avait permis d'ex-poser leurs doléances, mais aussi de proposer des ébauches de solutions. Lors d'une réunion similaire, qui a eu lieu lundi dernier, à nouveau à Cannes, le ministre a présenté ses propositions pour la nouvelle loi, approuvées en conseil des ministres fin avril, le projet de loi devant être déposé la semaine prochaine à la Chambre des députés. Jean-Louis Schiltz veut reconduire le système des Certificats d'investissement audiovisuel (Ciav), et ce jusqu'en 2015, afin de permettre aux producteurs de travailler au moins à moyen, sinon à long terme. Une des adaptations majeures du texte concerne l'article 4 sur les conditions d'éligibilité: la loi actuelle demande expressément que, pour être éligibles, les oeuvres doivent «être conçues pour être réalisées principalement sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg». Le but de cette spécification étant de faire profiter l'économie luxembourgeoise des retombées économiques d'une telle production et des investissements ainsi occasionnés: nuitées pour l'hôtellerie, artisanat pour les décors, fourniture de matériel, location de sets, etc. Dans la proposition du gouvernement, ce paragraphe sera adapté et remplacé par «au sein de l'Union européenne». Et ce non seulement pour suivre une revendication des producteurs, qui n'ont pas toujours les arguments pour tourner leur film au Grand-Duché lors des discussions avec les coproducteurs ou les réalisateurs, ou tout simplement pour des questions matérielles comme les décors naturels nécessaires, mais aussi pour se remettre en conformité avec les normes et principes de l'UE, notamment ceux concernant la libre circulation des biens et services. «Par cette réforme, nous nous ouvrons sur l'Europe, résuma le ministre lors d'un point de presse consécutif à la réunion. Nous espérons à nouveau attirer plus de coproductions européennes. Et puis, une multiplication de tournages équivaudra aussi à une augmentation des investissements dans l'économie luxembourgeoise et plus de travail pour les producteurs, les techniciens et les réalisateurs luxembourgeois.» En 2004, derniers chiffres disponibles, les demandes de Ciav concernaient un solde global de 30 millions d'euros, soit des non-recettes fiscales pour l'État luxembourgeois de l'ordre de neuf millions d'euros. Jean-Louis Schiltz estime que ces chiffres resteraient sensiblement identiques avec le futur système, même si le mode d'attribution changera. «Nous sommes satisfaits de la réunion, conclut Claude Waringo de Samsa Films, parce que nous avons eu confirmation que nos propositions ont été entendues. Et la garantie du soutien politique de ce système, ce qui est tout à fait positif.» Même si, et cela, personne ne voulait en parler officiellement, il reste à définir les règles du jeu plus concrètes, à mettre en place, par règlement, un système clair et flexible qui définisse très exactement quelles dépenses seront alors éligibles pour les Ciav et lesquelles ne le seront pas. L'Ulpa imaginait un système à points, qui seraient comptabilisés au fur et à mesure de l'avancement du projet, mais au stade actuel, rien de plus concret n'est avancé, preuve qu'en coulisses, les négociations battent leur plein. «Après avoir monté une petite industrie, nous voulons maintenant investir dans les techniciens et réalisateurs luxembourgeois, affirme le ministre. Mon ambition est de faire en sorte que le système contribue à permettre à l'un ou l'autre des jeunes réalisateurs luxembourgeois, et je pense par exemple à Beryl Koltz ou à Max Jacoby, de faire son premier long-métrage d'ici deux ou trois ans.» Pour cela, il veut également s'engager pour le maintien de l'enveloppe budgétaire attribuée au Filmfund pour, notamment, financer les aides directes et les bourses à la création à 4,5 millions d'euros en 2007. Beryl Koltz et Max Jacoby justement étaient à Cannes eux aussi, avec Paul Kieffer, profitant tous les trois d'une nouvelle bourse créée par le Filmfund, et qui vise à aider les réalisateurs à participer au plus prestigieux festival du film – alors que le pavillon est plutôt un soutien pour les producteurs. Et ils venaient de tous les coins du monde: Max Jacoby de Londres, Beryl Koltz du Portugal, où son court-métrage Starfly a encore remporté un prix au Festival international de cinéma de l'Algarve (Fica), et Paul Kieffer d'Algérie, où il a fait des repérages pour le tournage de son prochain long-métrage, Nuits d'Arabie (Samsa), qui sera probablement tourné d'ici la fin de l'année. À Cannes, il a pu rencontrer de possibles coproducteurs ou partenaires financiers. À quelques centaines de mètres du Palais des festivals, il y a un petit cinéma art et essai qui arbore fièrement l'affiche de Comme t'y es belle!, une coproduction luxembourgeoise de Samsa Films, qui a trouvé son public dans les salles françaises, les chiffres s'annoncent excellents. Samsa put donc être doublement fière de son bilan en fêtant son vingtième anniversaire à Cannes. Fondée durant l'époque des pionniers du cinéma luxembourgeois, en 1986, sous forme d'asbl par six férus de cinéma – les frères Paul et Jani Thiltges, Paul Kieffer, Christian Kmiotek, Claude Waringo et Frank Feitler –, à l'époque notamment en vue d'un concours de scénario pour la réalisation d'un film célébrant les 150 ans d'indépendance du Luxem-bourg, elle passa très vite au stade de sàrl et trois membres la quittaient pour d'autres activités. «Avec le recul, je crois pouvoir dire que c'était aussi une question de génération entre nous six,» se souvient Paul Thiltges qui, lui, a quitté Samsa pour se lancer dans l'animation, son dada. «Je trouve que notre petite fête tombe à pic, estime Claude Waringo, parce qu'elle s'inscrit dans un contexte que je ressens comme une relance.» Pour Samsa, l'évolution a été rapide: après la production des «films des amis», un phénomène typiquement asbl, la société s'est lancée dans la coproduction de films belges, portugais et français, contribuant souvent au montage de premiers films de jeunes réalisateurs par exemple, qu'elle a su fidéliser par la suite. Tout comme la société s'est construit un petit réseau de partenaires fiables et vient de créer une nouvelle société française, Liaison cinématographique, avec laquelle ses productions seront désormais aussi éligibles pour les aides françaises. Grâce à cette stratégie de développement, Samsa Film a réussi non seulement à décrocher des projets de plus en plus intéressants, mais aussi à augmenter son influence au sein même des coproductions, ce qui se traduit par la participation à la prise de décision dans le processus créatif. Peu à peu, Jani Thiltges et Claude Waringo ont réussi à créer une sorte «d'écurie» et de «style Samsa», essentiels pour être repérable et reconnaissable. Mais parallèlement, ils ont depuis quelques années considérablement développé le travail d'encouragement de jeunes talents – qui sont foison actuellement au Luxembourg – en produisant courts-métrages et documentaires, dû notamment à l'engagement d'Anne Schroeder. À leur fête dimanche, la plus célèbre Luxembourgeoise à Cannes, Viviane Reding (CSV), n'a pu faire qu'un saut, entre deux autres rendez-vous. La commissaire europé-enne aux Médias fêtait mardi la Journée de l'Europe, lors de laquelle elle a présenté un code de déontologie devant régir le cinéma sur Internet.

 

 

josée hansen
© 2024 d’Lëtzebuerger Land