Huit euros de cosmétiques et parfums, dix de chaussures, 35 de fruits et 34 de produits laitiers, un petit euro pour le dentiste, mais 375 pour la mobilité… par mois. Ce sont quelques uns des montants retenus dans le budget de référence des séniors que le Statec vient de présenter. Il s’agit du budget minimum dont une personne a besoin pour vivre décemment, mais aussi « activement » (en participant à la vie de la société) au Luxembourg. Il s’élève à 2 551 euros par mois pour une personne âgée seule et à 3 471 euros pour un couple. Des chiffres à analyser avec des pincettes pour ne pas leur faire dire ce qu’ils ne disent pas.
Cette étude s’intègre dans la continuité des travaux du Statec, entamés en 2014, établissant divers budgets de référence pour différentes tranches d’âge et situations familiales. Il n’est donc pas question d’observer les dépenses réelles, mais de poser un cadre théorique qui doit aider les services sociaux à déterminer des montants d’aides ou le calcul du risque de pauvreté (voir aussi page 11). Dans le cas présent, la recherche répond à une demande du ministère de la Famille dans le contexte de la réforme de l’accueil gérontologique et plus spécifiquement du « complément gérontologique » pris en charge par le Fonds national de solidarité.
Les personnes âgées de 65 ans et plus représentent près de quinze pour cent de la population totale. Mais cette part démographique compte une grande disparité de profils. « La spécificité des personnes âgées est qu’il s’agit d’une population extrêmement hétérogène d’un point de vue des conditions physiologiques et sociales des individus. Il n’existe pas une seule définition des personnes âgées mais une multitude de réalités qui se chevauchent », explique Anne Franziskus, chargée de l’étude. Deux personnes qui ont le même âge chronologique peuvent connaître des états de santé très différents. Pour passer outre cet écueil, l’institut de statistiques a réduit son hypothèse de travail et pour considérer les « personnes âgées de 65 ans ou plus, retraitées, autonomes, en bonne santé et vivant en location sur le marché privé ».
C’est une première limite. Selon le recensement de la population de 2011, 82 pour cent des personnes âgées de 65 ans et plus sont propriétaires de leur logement, dont 77 pour cent sans prêt hypothécaire. « Nous avons eu de longues discussions pour savoir si on incluait un loyer dans notre calcul. Mais puisqu’il s’agit des minima sociaux, nous avons considéré un loyer médian pour une surface médiane, pour un bien déjà occupé », justifie Anna Franziskus. Elle conseille cependant aux services sociaux d’observer la réalité du terrain des personnes avec lesquelles ils travaillent, insistant sur le fait que payer un loyer constitue un risque de précarité pour les personnes âgées, surtout quand elles vivent seules. Sans surprise, le logement pèse le plus lourd dans le budget de référence des seniors : 1 543 euros pour un couple (soit 44 pour cent du budget) et 1 279 euros pour une personne seule (la moitié du budget).
La santé est une autre pierre d’achoppement de l’étude qui retient des personnes « en bonne santé ». Les problèmes de santé liés au simple fait de vieillir (comme des problèmes articulatoires, ophtalmologiques ou dermatologiques) ont été pris en compte en plus des visites médicales « normales » et largement remboursées. « Il y a tant de cas différents qu’il était impossible de tenir compte de telle ou telle maladie. Nous n’avons considéré que les problèmes de santé effectivement liés au vieillissement », explique la chargée d’étude. Elle observe d’ailleurs que près de la moitié des séniors du Luxembourg estiment que leur état de santé général est bon et 8,2 pour cent le considèrent très bon. Moins de dix pour cent des personnes âgées vivent dans une structure d’hébergement agréée (6,6 pour cent en 2020). Le panier santé est donc minimaliste, à 21 euros par mois. Pour palier cet écueil, d’autres études suivront : « Notre objectif sera de nous pencher sur les besoins de base des personnes âgées qui ont des problèmes de santé, qui ne sont plus autonomes et/ou qui ne vivent plus à domicile ».
Pour calculer le budget de référence, les chercheurs ont suivi une méthodologie européenne pour reprendre tous les besoins « indispensables » des personnes considérées. Une dizaine de paniers-types ont été élaborés. Outre la littérature internationale et les études déjà disponibles, des experts du domaine de la vieillesse ont été sollicités dans les différents domaines : diététiciennes, professionnels de santé, responsables d’association, personnel encadrant et surtout le Gero – Kompetenzzenter fir den Alter. Le Statec a également « sondé le terrain » et a organisé des focus groups, en s’appuyant sur les Clubs seniors. Ces témoignages étaient particulièrement importants pour le volet « vie active » qui « doit permettre une participation adéquate à la vie en société ». Anne Franziskus note : « Les discussions ont souligné que les activités, quelles qu’elles soient, prennent une ampleur importante dans la vie des seniors, par le fait qu’ils ne travaillent plus et qu’ils doivent dès lors occuper leur temps de façon satisfaisante. » Aussi, le panier vie sociale est un budget conséquent avec 579 euros par mois pour un couple et 335 euros par mois pour une personne âgée seule. La semaine de vacances annuelle représente notamment un budget notable avec 66 euros par mois pour une personne senior seule. La chargée d’étude nous explique que les groupes de discussion ont fait valoir que les personnes âgées cherchaient des vacances en demi-pension, avec des repas au restaurant. Dans le budget de référence des jeunes familles, c’est une location qui est envisagée, où les repas sont cuisinés. « Pour chaque élément du panier, il a fallu transiger entre ce qui est socialement acceptable et financièrement réaliste », tranche-t-elle.
Après une première phase de discussions, les enquêteurs reconsidèrent leur approche : « Les propos collectés reflétaient surtout le point de vue d’une population senior assez aisée financièrement et urbaine. Nous avons décidé de compléter notre démarche en cherchant le contact avec des populations différentes », détaille le rapport. Les préoccupations autour de la vie sociale – activités physiques, sorties culturelles, sorties au restaurant et vacances – sont moins prégnantes dans des milieux ruraux ou socialement moins favorisés où la mobilité est considérée comme un défi. « Dans ces milieux ruraux, les personnes âgées sont fortement dépendantes de leur voiture individuelle pour pouvoir participer à des activités, pour pouvoir suivre des visites médicales et pour rester en contact avec leurs familles et leurs amis ». Le panier mobilité – 375 euros par mois – est du même montant que pour les actifs, même s’il ne relève pas tout à fait les mêmes articles. Par exemple, il a été décidé par le comité de pilotage qu’il est « trop irréaliste » que les personnes âgées se servent du vélo comme moyen de déplacement quotidien. Le vélo est en revanche intégré en tant qu’activité sportive dans le panier de la vie sociale.
D’autres paniers sont très similaires à ceux des adultes actifs. Vêtements (55 euros par mois pour les séniors, 57 pour les actifs), multimédia (117 / 118), équipement et entretien du logement (55 euros) ou hygiène personnelle (59 / 49). Le volet alimentation montre plus de disparités (250 / 317), le métabolisme ralentit avec l’âge et en conséquence, les besoins en énergie diminuent. Dans son ensemble, le budget de référence des personnes âgées est supérieur à celui des adultes actifs.
Puisque ce budget de référence est un cadre théorique, il faut le confronter à la réalité des revenus et des dépenses des personnes âgées. Leur niveau de vie est plutôt confortable. Le dernier Pension Adequacy Report de la Commission européenne retient par exemple que le Luxembourg est le seul pays dans l’Union européenne où le revenu médian disponible des personnes âgées de 65 ans et plus est plus élevé que le revenu médian des résidents plus jeunes (18-64 ans), de 22 pour cent selon les chiffres de 2019. Dans le même ordre d’idée, il ressort de l’enquête sur les revenus et les conditions de vie EU-SILC que le premier quartile de revenu des personnes âgées de 65 ans et plus (c’est-à-dire le quart des ménages qui ont les revenus les moins élevés) disposent d’un revenu total de près de 3 000 euros par mois pour une personne seule, et de plus de 4 500 pour un couple. Autrement dit, les ménages de seniors les moins bien lotis arrivent quand même à atteindre le budget de référence et couvrir leurs besoins essentiels.
Les dépenses moyennes des ménages seniors du Luxembourg, telles que collectées dans le cadre de l’enquête budget des ménages, sont beaucoup plus élevées que le budget de référence, atteignant 4 168 euros par mois pour un senior seul et 6 117 pour un couple. La structure des dépenses est assez similaire que dans le modèle théorique, avec le poids fort du logement et de la vie sociale. Le poste de la santé (193 euros en réalité contre 42 euros prévus) est celui qui a été le plus sous-évalué.
Les moyennes cachent les cas extrêmes. Si l’on compare le budget de référence au seuil de risque de pauvreté (qui correspond à soixante pour cent du revenu disponible médian), la donne change. En 2020, ce seuil s’établit à 2 124 euros par mois pour un adulte et à 3 186 euros par mois pour un couple, donc en dessous du budget de référence : « Le sénior seul, qui a un revenu à la hauteur du seuil de risque de pauvreté ne peut donc pas tout à fait satisfaire ses besoins de base », note l’étude. Même chose pour la pension minimale (Mindestrent), 2 165 euros par mois pour une personne seule, qui ne suffit pas non plus à couvrir le budget de référence. Pour un couple, à condition que les deux aient travaillé quarante ans à temps plein (ce qui est peu probable vu le taux d’emploi des femmes de cette génération), les deux pensions suffiraient. Le budget de référence est alors un indicateur pertinent pour que les mécanismes sociaux puissent être enclenchés à bon escient.