Exposition

Le dessin, reconquête de la vie

d'Lëtzebuerger Land vom 04.12.2020

On connaît le syndrome de Stockholm, l’empathie apportée par la victime à ses ravisseurs. Il en est un autre, plus dramatique sans doute, puisque la victime s’y retourne contre elle-même, mauvaise conscience, repentir, allez savoir, du survivant, du rescapé. Catherine Meurisse, le matin du 7 janvier 2015, est arrivée en retard à la rédaction de Charlie Hebdo, a échappé par miracle donc à la tuerie. De quoi en tirer une souffrance bien au-delà du deuil de ses proches. Ah ! ces blessures difficiles, sinon impossibles à soigner et à fermer. Elles nous ont donné quand même trois chefs d’œuvre, d’authenticité, de vérité, de courage, avec Le Lambeau, de Philippe Lançon, Catharsis, de Luz, et La Légèreté, de Catherine Meurisse justement, cette légèreté (de la vie) qu’elle avait perdue, et que le dessin lui a permis de retrouver.

Un dessin en particulier, mis en évidence pour l’exposition de la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou, en dit long. En opposition à l’expression qui dit de quelqu’un, de bien benêt, qu’il est en train de scier la branche sur laquelle il est assis. Le dessin, lui, montre une couronne d’arbre, somptueusement verdoyante, et sur l’une des branches, une jeune femme, assise, les jambes croisées. Pas difficile de la reconnaître : Catherine Meurisse a dit elle-même dans un entretien qu’elle était facile à caricaturer, avec son grand pif et ses cheveux super raides. Que fait-elle ? De sa main gauche, elle dessine, prolonge la branche, comme l’apparition d’un bourgeon, la vie qui continue, ou comme le veut le titre de l’exposition, la vie en dessin.

Par contre, ne nous fions pas à l’agencement de l’exposition. C’est juste pour la séparer des espaces des lecteurs, la forme de coquille d’escargot sert à cela, pour le reste, rien dans le dessin de presse en général, dans les illustrations et les bandes dessinées de Catherine Meurisse ne tend vers pareil geste de repli. Ni dans les premiers pas de la dessinatrice, dans la littérature jeunesse, ni a fortiori dans les dix années où elle a travaillé pour Charlie Hebdo, première femme, repérée dès 2001 où elle a remporté le Trophée Presse Citron, engagée à 21 ans. Elle quittera l’hebdomadaire après le numéro 1178, dit numéro des survivants, avec notamment une bande dessinée en hommage à la psychanalyste Elsa Cayat.

Troisième section de l’exposition, les deux albums, La Légèreté, Les Grands Espaces, où Catherine Meurisse, dans un mouvement de retour vers soi momentané, se ressaisit, se reconstruit. Avec le recours également aux deux pôles entre lesquels son œuvre balance toujours, où il trouve constamment de quoi se nourrir, l’art et la nature. Il y avait eu avant, bien mieux que le Lagarde et Michard, Mes Hommes de lettres, album réuni aujourd’hui, pour les fêtes de fin d’année, au Pont des arts, pour les amitiés entre peintres et écrivains. Et avec Delacroix, Catherine Meurisse n’a fait qu’accentuer sa prédilection du 19e siècle, et dans la foulée, s’est ouverte à la couleur, encres colorées, gouache, comme en témoigne la dernière section de l’exposition, et au-delà d’une incessante ouverture au monde (résidence au Japon) et recherche d’une esthétique multiple (performance dansée/dessinée).

Pas étonnant dès lors que Catherine Meurisse et ses dessins, ses livres, aient tapé dans l’œil des académiciens des beaux-arts, de l’Institut de France. Tout y est, le coup d’œil acéré, l’idée et sa réalisation. Avec en premier bien sûr l’humour, il en est de différentes sortes, dans Charlie, on frappe fort, ou comme elle dit, « le journal distribue des gifles à qui mieux mieux », elle-même y a de plus en plus joint l’émotion et la poésie. En janvier dernier, Catherine Meurisse a été élue à la section Peinture (une première pour la bande dessinée), son installation sous la coupole doit avoir lieu en juin de l’année prochaine. Faut dire qu’on a quelque mal à la voir dans ce costume, avec son épée, qu’il lui faudra échanger un court moment du moins contre sa plume et son pinceau. Et l’on est curieux de voir comment ses compagnons (ceux qui ont survécu comme elle à la folie meurtrière) la croqueront.

Lucien Kayser
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