L'artiste vu par le cinéaste dit le sous-titre. Lorsqu'il a pris l'initiative des portraits d'artistes, voici quatre ou cinq ans, Claude Waringo, producteur de samsa film, voulait surtout que ce soient des rencontres entre un artiste et un cinéaste - jeune de préférence, pour que la série soit aussi une sorte de pépinière pour talents. La troisième cassette avec six portraits vient de sortir, et on peut en tirer quelques constantes.
Par exemple qu'au Luxembourg, les artistes sont tous vieux - on appelle cela « confirmés » -, majoritairement des hommes, peintres et sculpteurs, mais ne travaillent surtout pas dans les domaines des nouveaux médias ou de l'art contemporain (à l'exception de Bert Theis). On se rappelle d'ailleurs l'épopée abracadabrante qui a entouré la sélection pour la deuxième série, la « commission d'achat d'oeuvres d'artistes luxembourgeois » du ministère de la Culture ayant exercé beaucoup de pression pour qu'il en soit ainsi. Il ne faudrait pas venir décrédibiliser leur marché de critiques officiels. Alors que les meilleurs portraits, les plus originaux, les plus réussis aussi, sont ceux qui ne se situent pas dans la ligne imposée, les deux de Paul Kieffer (Barbara Wagner et Bert Theis).
Puis on constate aussi que les 18 artistes choisis travaillent presque tous en isolation : on les voit dans leur atelier respectif, la caméra essaie de suivre le pinceau, le feutre, les jets de couleurs, la scie, les gestes de la main... Pour la majorité d'entre eux, l'art doit être intuitif, direct, spontané, uniquement dicté par les sentiments, les humeurs du moment - « l'art m'arrive, moi, je ne suis que le prête-main » dira Moritz Ney - et l'analyse, l'intellectualisation doivent se faire par quelqu'un d'autre - « je pourrais faire une analyse, mais ce n'est pas mon travail » estime Marie-Josée Kerschen. Ce travail de mise en rapport, d'interprétation, ils le laissent aux autres, à ceux dont c'est le travail. Les cinéastes, eux, ont fait des portraits en vase clos, une rencontre, une ambiance, une recherche stylistique - très réussis chez Jean-Marie Biwer par Andy Bausch, Barbara Wagner et Bert Theis par Paul Kieffer, Charly Reinertz par Serge Tonnon et Ann Vinck ou Liliane Heidelberger par Geneviève Mersch.
Ces artistes-là sont seuls, dans leurs ateliers, rarement en présence d'un chat, d'un enfant, d'un spectateur ou d'un troisième intervenant. Comme s'ils étaient complètement coupés du monde extérieur, comme si l'évolution du monde, de l'art et de son histoire n'avaient pas prise sur eux. D'ailleurs, seule Geneviève Mersch parle véritablement du marché dans son portrait de Ann Vinck. Comme si, dans un atelier d'artiste, la réalité n'existait pas, comme si les créateurs étaient des êtres à part, avec une mission presque sacrée, celle de créer des oeuvres d'art. Les portraits d'artistes sont en fait la négation, l'opposé d'une critique d'art.
Ce qui gêne le plus, surtout dans la dernière série qui vient d'être publiée, c'est l'impression d'un art presque archaïque. Et que ce sont toujours les quelques mêmes artistes qui se voient récompensés, érigés encore un monument - incontournables Lucien Wercollier, Moritz Ney, Jean-Marie Biwer ou Jeannot Bewing. Mais peut-être que c'était un des objectifs de la série : immortaliser ces artistes connus en ce moment. Bien que cela manque un peu d'audace, de surprises et de révélations, la série a le grand mérite d'exister et de rejoindre la mémoire collective de l'image.
Cassette 1 : Portraits 1-6 (1997) : Marie-Josée Kerschen par Christian Kmiotek / Lucien Wercollier par Sophie Langevin et Jacques Raybaut / Barbara Wagner par Paul Kieffer / Charly Reinertz par Serge Tonon / Pina Delvaux par Luix Galvão Teles / Patricia Lippert par Jang Kayser
Cassette 2 : Portraits 7-12 (1998) : Ann Vinck par Geneviève Mersch / Jeannot Bewing par Christine Rabette / Charles Kohl par Béatrice Pettovich / Roger Bertemes par Tom Alesch / Liliane Heidelberger par Geneviève Mersch / Bert Theis par Paul Kieffer
Cassette 3 : Portraits 13-18 (1999) : Armand Strainchamps par Sophie Langevin et Jacques Raybaut / Jean-Marie Biwer par Andy Bausch / René Wiroth par Daniel Wiroth / Jean-Luc Koenig par Anne Schroeder / Moritz Ney par Claude Lahr / Adolphe Deville par Thierry Tormena
Les cassettes sont disponibles aux points de vente de Films made in Luxembourg et par Internet : www.samsa.lu