Assurance luxembourgeoise

La grande forme

d'Lëtzebuerger Land vom 17.06.2010

Le secteur financier luxembourgeois dans son ensemble a enregistré, des suites de la crise, une sensible perte de vitesse. Mais que celle-ci a été amortie par la montée en puissance de l’assurance. Et de fait cette branche d’activité, qui faisait figure de parent pauvre du secteur par rapport à la banque ou à la gestion de fonds d’investissement, manifeste en ces temps difficiles une remarquable santé qui conforte avec éclat sa place de troisième pilier de la place financière.

Déjà, la bonne résistance de l’assurance luxembourgeoise durant la calamiteuse année 2008 avait surpris. En annonçant au terme de cette année noire une croissance de l’encaissement des primes de l’ordre de cinq pour cent, le Commissariat aux assurances (CAA) s’était félicité sobrement en intitulant son communiqué : « Résultats satisfaisants dans un contexte difficile ».

Signe qu’il ne s’agissait pas d’un feu de paille, les performances se sont révélées plus favorables encore l’année suivante. La collecte de primes y a connu une progression de 52,57 p.c. dont le CAA a rendu compte en annonçant : « Le secteur des assurances finit 2009 en beauté ». Et le phénomène s’est poursuivi crescendo durant le premier trimestre de l’année 2010 qui se traduit, selon les termes du Commissariat, par « une croissance exceptionnelle de l’encaissement », un qualificatif qui n’est pas exagéré car la progression s’élève à 95,57 p. c. par rapport à la même période de l’exercice précédent.

Il faudra attendre la sortie du rapport annuel du CAA, traditionnellement fixée au début du mois de septembre, pour procéder à une analyse plus fine de l’exercice 2009. Mais d’ores et déjà, les indications fournies par le CAA dans ses communiqués permettent de dresser quelques constats.

Comme les années précédentes, la per­formance réalisée par l’assurance luxembourgeoise en 2009 est inégale selon les branches d’activité.L’assu­rance non-vie – hors assurance maritime qu’il convient de mettre à part compte tenu de sa volatilité – régresse légèrement, de 2,01p.c., alors qu’elle avait connu une progression spectaculaire de 56,09 p.c. en 2008. Encore faut-il préciser que cette croissance était imputable à certaines entreprises opérant sur le marché international, dans des créneaux spécialisés comme l’assurance-crédit ou les risques des entreprises industrielles et commerciales et de leurs dirigeants ? Une place importante revient à cet égard au groupe Swiss Ré, qui a implanté au grand-duché son hub européen afin de tirer parti de la réglementation communautaire. Depuis le début de l’année 2008, Swiss Ré exerce sur différents marchés européens des activités d’assurance directe destinées à une clientèle d’entreprises ; le groupe utilise à cet effet un réseau de succursales piloté à partir de Luxembourg sous le régime de la liberté d’établissement. L’« effet Swiss Ré », qui a joué à plein en 2008, ne pouvait évidemment pas se répéter l’année suivante. Il reste que l’assurance non vie a pris un essor international – les affaires internationales ont représenté en 2009, pour la deuxième année consécutive, un encaissement largement supérieur à celui des affaires locales –qui était jusque là l’apanage de l’assurance-vie. C’est là un phénomène digne d’être salué car il ouvre pour les métiers traditionnels de l’assurance des perspectives de développement que n’autorise pas la modestie du marché domestique. Ce dernier a connu une légère régression (- 3,24 p.c.) en 2009. Néanmoins, cet exercice a permis aux entreprises non-vie de redresser sensiblement leurs résultats qui avaient souffert de la crise financière en 2008.

L’assurance-vie quant à elle, très déployée sur le marché international, continue à se tailler la part du lion avec un total de primes encaissées en 2009 de 17,6 milliards d’euros, en progression de 63 p.c. par rapport à l’année précédente. Ceci représente près de 90 p.c. de l’encaissement total de l’assurance luxembourgeoise, toutes branches confondues. L’assurance vie en unités de compte, adossée à des fonds d’investissement et dont les risques financiers sont supportés par le client, continue d’occuper dans les encaissements vie une place prépondérante (de l’ordre de 70 p.c.), mais déclinante. La crise des marchés boursiers a en effet conduit nombre d’épargnants à rechercher la sécurité des contrats à rendement garanti par l’assureur. Les primes collectées au titre de ces produits en 2009 s’élèvent à 5,1 milliards d’euros, soit plus du double de l’année précédente. On notera que les produits d’épargne pension assortis des avantages fiscaux de l’article 111 bis de la loi sur l’impôt sur le revenu continuent de bénéficier d’un solide succès sur le marché domestique.

Ces bonnes performances commerciales ont permis aux entreprises d’assurance vie, comme à leurs homologues non vie, de redresser leurs résultats en 2009. Il en est résulté une progression de la contribution des entreprises d’assurance au budget de l’État, avec un montant total d’impôts directs de 93 millions d’euros (+ 53 p.c. par rapport à 2008). Et une augmentation des effectifs employés, l’assurance luxembourgeoise employant désormais 3 877 personnes.

Si l’on s’interroge sur les raisons du succès des contrats d’assurance-vie luxembourgeois à l’international, on en trouvera des explications dans l’article « Les charmes cachés du Luxem­bourg » publié par le quotidien français Le Monde il y a quelque temps déjà (le 24 février 2007), mais qui reste d’actualité. Ce journal souligne que les contrats d’assurance-vie luxembourgeois sont séduisants pour les épargnants français (la remarque pouvant s’étendre aux ressortissants d’autres pays) : ils leur permettent un accès à une véritable gestion sous mandat réglementée avec des ratios de dispersion souples ; la possibilité d’investir dans des actifs plus variés qu’en France (gestion alternative, titres non cotés …) ; l’opportunité de mettre en place une gestion familiale ; la possibilité de souscrire en numéraire et par apport de titres.

Ces propos valident la pertinence des choix effectués par les autorités luxembourgeoises lorsqu’elles ont décidé, à partir du début des années 2000, d’assouplir la réglementation des produits d’assurance liés à des fonds d’investissement ; et d’autoriser les contrats à fonds dédiés qui constituent, selon l’expression du CAA, une déclinaison de la gestion de fortune dans sa version assurance. Destinés à une clientèle fortunée, d’un montant unitaire élevé voire très élevé, les contrats luxembourgeois à fonds dédiés ont remporté un succès tel qu’ils représentaient en 2008 pas moins de 54% du total de l’encaissement vie. Et ils ont fait la fortune de certaines entreprises qui se sont spécialisées sur ce créneau.

À cette liste d’avantages attachés aux contrats luxembourgeois, l’auteur de l’article du Monde ajoute le secret bancaire, le fait qu’il n’existe aucune fiscalité pour les non-résidents luxembourgeois et que les contrats d’assurance-vie sont exclus du champ d’application de la directive européenne sur la fiscalité de l’épargne du 1er juillet 2005.

Tout ceci n’est pas inexact mais mérite d’être nuancé. Le succès des contrats à fonds dédiés s’explique par le fait qu’ils sont utilisés, non seulement comme des véhicules de placement, mais aussi et surtout comme des outils de planning successoral grâce au jeu de la clause bénéficiaire. À ce titre, ils ne sont pas destinés à être dissimulés au fisc, bien au contraire ; et les gestionnaires de patrimoine qui les conçoivent veillent du reste à ce que ces contrats soient officiels afin qu’ils puissent remplir leur office en toute clarté.

Enfin, l’article du Monde signale qu’à Luxembourg l’ensemble des actifs gérés pour le compte des épargnants constitue un patrimoine privilégié, distinct de celui de la compagnie. Si celle-ci fait faillite, le souscripteur ne peut se voir privé de ses actifs puisqu’il est créancier de premier rang – ce qui n’est pas le cas en France.

Cette partie de l’article évoque la réglementation luxembourgeoise des assurances qui s’emploie, mieux sans doute que dans les pays voisins, à garantir la sécurité financière des clients en protégeant très solidement les actifs qui répondent de leurs droits. Les argumentaires utilisés par les entreprises d’assurance luxembourgeoises font du reste largement référence à cette réglementation, en mettant l’accent sur le « triangle de sécurité », découlant de l’obligation imposée aux assureurs de confier leurs actifs réglementés à une banque dépositaire sous le contrôle du CAA. L’impor­tance du sujet est d’ailleurs attestée par une récente note d’information du CAA qui lance un sévère rappel à l’ordre concernant le contenu de la convention, laquelle doit être strictement conforme au modèle établi par le CAA. Mais encore faut-il que les actifs financiers placés en dépôt présentent une consistance. De ce point de vue, on reste confondu devant l’aveuglement qu’ont manifesté certains professionnels, censément avertis des choses de la finance, à l’égard des fonds Madoff ; ils ont fait des victimes parmi les clients des assureurs luxembourgeois.

Ceci n’a pas empêché l’assurance vie luxembourgeoise de poursuivre sa success story comme le démontre la progression spectaculaire de l’encaissement (+ 113 p.c.) au premier trimestre 2010. Et les raisons de fond qui ont été évoquées précédemment autorisent à penser que ce secteur d’activité a encore de beaux jours devant lui.

On ne se dissimulera pas, cependant, que le principal problème auquel sont exposés les assureurs tient aux incertitudes qui entourent la dette de certains pays. Les emprunts d’État constituent en effet un placement très utilisé par les assureurs, spécialement par les assureurs vie pour y adosser leurs contrats à taux garanti. Et la réglementation des assurances se montre particulièrement accueillante pour les dettes souveraines, car les titres de la dette publique d’un État membre de l’Union européenne sont admis sans aucune limite, ni globale, ni par émetteur. On pourrait ainsi imaginer, en théorie, que la totalité des actifs réglementés d’une entreprise d’assurance soit investie en emprunts d’État grecs. Ce n’est évidemment pas le cas dans la pratique, mais la presse (Figaro Économie du 13 février 2010) a signalé que des assureurs achetaient des obligations d’État grecques et espagnoles à raison de leur taux d’intérêt attractif. Si, ce qu’à Dieu ne plaise, l’émetteur devait se révéler défaillant, les conséquences en seraient lourdes pour les assureurs concernés.

Pour terminer, on mentionnera une récente lettre-circulaire du CAA datée du 19 avril 2010, relative à la lutte anti-blanchiment. Ce document appelle l’attention des assureurs luxembourgeois sur les mises en garde lancées par le GAFI au sujet du caractère insatisfaisant du dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme existant dans certaines juridictions. Il se trouve qu’un seul pays de l’Union européenne figure sur cette liste : la Grèce. Décidément, la gestion des finances publiques n’est pas le seul domaine dans lequel le berceau de la démocratie se montre aujourd’hui défaillant.

Gérard Klein
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