Crèches

Conventionnées, mais pas neutres

d'Lëtzebuerger Land vom 02.06.2011

La loi du 8 septembre 1998 réglant des relations entre l’État et les organismes œuvrant dans les domaines social, familial et thérapeutique stipule dans son article 2 que, pour obtenir l’agrément, « les requérants doivent (…) garantir que les activités agréées soient accessibles aux usagers indépendamment de toutes considérations d’ordre idéologique, philosophique ou religieux et que l’usager de services ait droit à la protection de sa vie privée et au respect de ses convictions religieuses et philosophiques ». Pourtant, depuis un certain moment, les conventions signées entre l’État et les organismes ne précisent plus ce critère d’accès non discriminatoire. Si l’on peut s’interroger sur les raisons de cette négligence, l’on peut également s’inquiéter des éventuelles conséquences d’une telle omission.

La différence entre crèches privées et crèches publiques se situe, au-delà des frais, justement au niveau d’une certaine garantie, non pas dans le sens de services matériels, mais dans le sens de principes moraux et symboliques, que l’usager reçoit de la part de l’État. L’usager qui fait confiance à l’État démocratique part du postulat que dans une crèche conventionnée, tous les enfants sont égaux.

Garantie qu’aujourd’hui, l’État a tendance à céder aux parents (d’Land du 20.05.2011). Tout récemment, lors de la conférence de presse à l’occasion du site internet sur les structures d’accueil, il est sorti clairement que l’État entendait se retirer de sa fonction de suivi et de contrôle. Cette déresponsabilisation de l’État peut, nous semble-t-il, s’accompagner de dérives. Ainsi, le ministère de la Famille est-il au courant d’une crèche conventionnée dans la ville de Luxembourg, « Gan Raphael », qui aurait une « tendance communautariste » et que l’on laisse faire. Une « association juive », selon les propos d’un membre du personnel, aurait voulu créer « une crèche juive ». Jusqu’ici, rien de grave, car une association peut être confessionnelle, explique un haut fonctionnaire du ministère de la Famille consulté pour cette recherche. Par contre, elle est dans l’obligation de traiter tous les enfants sur un pied d’égalité. Pourtant, selon des témoignages de parents ainsi que dudit fonctionnaire, des pratiques de discrimination existeraient.

« Ils réservent des places pour les enfants de familles juifs, » selon les témoignages des parents et dudit fonctionnaire, « quand ils savent que tel couple attend un enfant, ils réservent la place, même pendant des mois ». Selon le fonctionnaire consulté, des familles non-juives se sont régulièrement vues octroyer des contrats à durée déterminée. « Au moins la moitié » des enfants seraient de parents juifs, sinon plus. Une mère concernée estime le taux à 80 pour cent et s’indigne que « nous avons été utilisés comme enseigne ».

Si les chiffres ne sont que des estimations, c’est parce que la politique de la maison n’est pas partagée publiquement. Et pour cause, puisque le ministère ne se réjouirait pas de voir affiché au grand jour ce critère d’accès. Mais « il y a manifestement quelque chose qui ne va pas » nous relate un parent concerné, qui estime qu’« il y a détournement de la loi ».

Du coup, l’on se pose la question pourquoi cette crèche n’est pas privée et comment elle a pu obtenir la convention. Mais, « la convention n’est pas un problème en soi » affirme le fonctionnaire, « le problème, c’est ce qu’ils en font ». Et de déplorer que les moyens manquent pour aller contrôler sur place. En effet, plusieurs parents ont envoyé des plaintes au ministère sans qu’il n’y ait eu une suite.

Qui cherche des informations concrètes sur l’asbl Gan Raphael, reste sur sa faim. Si dans les statuts de l’association, rien n’indique qu’il s’agit d’une « association juive », le dépliant de la crèche fait part des « animations juives ». Afin de « créer une atmosphère juive », on fait appel à des personnes « de la Communauté ». Ainsi, n’y sont fêtées que les fêtes religieuses juives et pas celles des autres religions. Également, « les enfants se familiarisent avec l’hébreu » et « participent avec joie au kiddoush du vendredi, veille de shabbat » selon les termes du dépliant. Des parents nous ont également relaté que les jeudis « un homme vient pour raconter aux enfants l’histoire d’Israël » et que le vendredi « c’est le rabbin qui vient ». Cette dernière information n’a pas été confirmée telle quelle, mais plutôt dans le sens où « un homme venait pour octroyer la bénédiction aux enfants » selon les propos recueillis d’un membre du personnel.

Du coup, l’observateur demande ce qui se passe avec les enfants non juifs pendant les séances d’« animations juives ». Et ben, « on les met à côté » nous avance une mère, qui était sur le point d’inscrire son enfant et d’ajouter que « sortir un enfant du groupe, c’est comme une punition ». Celle-ci ne peut comprendre que dans une crèche où les enfants sont censés jouer et grandir ensemble, l’« on crée déjà des exclusions ».

Le fonctionnaire du ministère consulté pour cet article regrette cette évolution vers un « endoctrinement des enfants ». Le cas est bien connu depuis des années. Dans l’embarras, le ministère avait entrepris de trouver une solution à ce « problème ». On avait voulu instaurer une coopération avec le ministère des Cultes afin d’éviter que l’enseignement religieux se fasse dans la crèche. Mais, apparemment cela n’a pas abouti, puisque les animations juives se font non pas dans une chambre « dans le sous-sol » comme l’avait prévu la coopération interministérielle mais dans la crèche même.

D’ailleurs, il existerait « une pression énorme de l’asbl sur les chargés encadrant les enfants » poursuit une des mères concernées. Et le fonctionnaire de confirmer qu’«  il y a eu de nombreux changements de personnel tellement les chargés sont exposés à la pression d’en haut ».

Pour les parents concernés, « le pire, c’est l’attitude du ministère » qui ne faisait même pas semblant de vouloir élucider le cas. Suite à notre demande, le responsable auprès du ministère n’a rien voulu savoir, sinon de nous dire que les informations étaient « secrètes ». Ce qui dérange aussi, c’est la banalisation des activités religieuses de la crèche. Aux parents non-juifs, celles-ci sont présentées comme quelque chose d’insignifiant, alors que non seulement le dépliant les met en avance, mais que le site de la synagogue propose tout un article sur la crèche.

« La crèche Gan Raphaël permet aux parents, notamment de culture juive, d’offrir à leur enfant une cuisine cacher », y lit-on. La nourriture semble dès lors devenir le prétexte pour pouvoir ouvrir une crèche à part pour une communauté. Et si les autres confessions réclamaient les mêmes prérogatives ?

« Et si toutes les crèches conventionnées commençaient par inventer leurs propres critères d’accessibilité ? » demande une mère. « Nous qui aimons tellement parler d’intégration, du côté multi-culti du Luxembourg... ».

Pour être clair, il s’agit ici de pointer le doigt sur d’éventuelles incohérences entre la théorie et la pratique des services ministériels financés par le citoyen. S’il y a des dérives, il faut que le ministère se dote de moyens nécessaires pour vérifier, sinon réparer.

Nathalie Oberweis
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