Facebook n’en a pas fini avec sa gestion calamiteuse des données personnelles de ses utilisateurs et de ses relations avec Cambridge Analytica. Se basant notamment sur des déclarations réglementaires faites par Facebook, le Washington Post et le New York Times rapportent que les autorités fédérales américaines ont engagé une enquête conjointe approfondie sur ce scandale qui date du mois de mars. On se souvient que les révélations d’un lanceur d’alerte, ancien employé de l’entreprise britannique spécialisée dans les données à caractère politique, avaient jeté une lumière crue sur le peu de cas que la firme de Mark Zuckerberg faisait des données de ses utilisateurs. On apprend à présent qu’au moins quatre agences fédérales, l’autorité boursière (SEC), le ministère de la Justice, le FBI et la Commission fédérale du commerce (FTC) veulent en savoir plus long sur cette affaire.
Outre ses actions au moment de la fuite elle-même, les déclarations de l’entreprise et de son patron sont elles aussi dans le collimateur de ces enquêtes – autrement dit, Facebook est soupçonnée d’avoir cherché à induire en erreur les instances de supervision après que la crise eut éclaté. Est notamment visée l’intervention de Mark Zuckerberg devant les législateurs américains, d’une durée
de deux jours, qui avait laissé pratiquement tout le monde sur sa faim. Les autorités cherchent aussi à savoir quand l’état-major de Facebook a su avoir été trompé par Cambridge Analytica (qui a fermé boutique depuis) et à quel moment il a pris conscience du volume de données parties dans la nature – après tout, les premières découvertes de Facebook sur la fameuse recherche « académique » menée par la firme anglaise datent de 2015, et l’absence de réaction significative de sa part avant que le pot aux roses ne soit éventé pourrait finir par lui coûter cher. Et ce alors que des doutes planaient déjà, dès la campagne électorale de 2016, sur le rôle de Facebook dans la dissémination d’intox injectées dans le réseau par des officines russes.
Ce qui affolle les milieux politiques et boursiers, c’est que les amendes qui pourraient résulter de cette enquête conjointe sont potentiellement astronomiques. Si les services fédéraux parviennent à la conclusion que la firme à violé l’accord (consent decree) obtenu en 2011 du ministère de la Justice sur sa gestion des données privées, et compte tenu du fait que ce sont au moins quelque 71 millions d’utilisateurs américains dont les données ont été indûment transmises à des tiers, la société encourt des pénalités de la part de la FTC qui pourraient s’élever en dizaines, voire en centaines de milliards de dollars. Un commentateur, William Kovacic, un ancien président de la FTC, a même affirmé en avril dernier, ne blaguant qu’à moitié, qu’il pourrait ne pas y avoir assez d’argent (en billets de banque) sur la planète pour payer l’amende, suggérant indirectement des montants en milliers de milliards. Un autre expert cité par le Washington Post, plus pragmatique, a suggéré que la FTC n’infligerait jamais à Facebook une amende qui la mettrait en faillite, mais a néanmoins suggéré que la facture pourrait s’élever à un milliard de dollars, ce qui serait déjà en soi un record pour une pénalité concernant des manquements à la protection des données.
Les législateurs américains ont déjà prouvé qu’ils n’ont pas l’intention de mettre au pas Facebook, qui a fait près de seize milliards de dollars de profit l’an dernier, et ses pratiques de collecte et de traitement des données de ses utilisateurs. L’annonce d’une enquête sérieuse des agences fédérales, dont la FTC qui est susceptible de lui infliger des amendes libellées en milliards, est donc excellente pour tous ceux qui s’inquiètent qu’un modèle d’affaires fondé sur une exploitation éhontée de données confiées en bonne foi par des milliards d’utilisateurs à travers le monde puisse se poursuivre en toute quiétude. Jean Lasar