Les grandes banques européennes affichent une bonne forme. Mais celle-ci pâlit en comparaison avec les États-Unis

Eux en baskets, nous en tongs

d'Lëtzebuerger Land vom 14.02.2025

Dès le 15 janvier les grandes banques européennes ont commencé de publier leurs résultats du quatrième trimestre et de l’année 2024. Le moins que l’on puisse dire, c’est que, malgré un contexte économique morose, elles se portent bien, certaine affichant même des profits records, pour le plus grand bonheur de leurs actionnaires. Mais la comparaison avec les banques américaines ne tourne toujours pas à leur avantage et 2025 ne s’annonce pas aussi favorable.

En France, les cinq grands groupes bancaires affichent ensemble 32,2 milliards d’euros de profits pour 2024, soit onze pour cent de plus qu’en 2023. Mentions spéciales pour la Société Générale, où le bénéfice annuel progresse de 69 pour cent, et à moindre titre pour les groupes Crédit Agricole et BPCE (+25 pour cent chacun).

BBVA, la deuxième banque espagnole, a franchi pour la première fois la barre symbolique des dix milliards d’euros de résultat net, en hausse de 25 pour cent mais reste à distance du leader Santander qui affiche un bénéfice record de 12,6 milliards d’euros, en hausse de quatorze pour cent sur un an. En Italie, Intesa SanPaolo a vu ses profits grimper de douze pour cent à 8,7 milliards d’euros et Unicredit de huit pour cent à 9,3 milliards.

La deuxième banque allemande Commerzbank parvient aussi à son point haut, avec 2,7 milliards d’euros de profit soit 20,7 pour cent de plus qu’en 2023. Chez UBS en Suisse, où, pour cause d’absorption du Credit Suisse en 2023, les résultats ne sont pas comparables d’une année sur l’autre, le bénéfice net de 5,1 milliards de dollars en 2024 est supérieur de treize pour cent aux attentes des analystes.

À noter tout de même que toutes les grandes banques ne sont pas logées à la même enseigne. En France, le bénéfice du Crédit Mutuel n’a augmenté que de 0,2 pour cent et celui de BNP Paribas de 4,1 pour cent, mais dans les deux cas les niveaux atteints sont historiques. A la Deutsche Bank, le bénéfice avant impôts n’est que de 5,3 milliards d’euros, soit sept pour cent de moins que l’an dernier et chez ING aux Pays-Bas, le résultat de 6,4 milliards d’euros en 2024, était en baisse de 12,3 pour cent par rapport à 2023, année où le bénéfice net avait presque doublé.

Dans tous les cas l’activité de banque de détail n’a que légèrement progressé. C’est que, malgré la hausse des commissions et de moindres défauts de remboursement, les marges sur les crédits, très favorables en 2023, ont baissé à partir de juin 2024. C’est surtout la banque de financement et d’investissement (sigle anglais CIB) qui a tiré les résultats vers le haut, grâce à l’évolution des marchés. Ainsi chez BNP Paribas elle est devenue « un puissant moteur de croissance » : avec un profit en hausse de 16,2 pour cent, quatre fois plus que la moyenne des activités, elle représente désormais 38,5 pour cent du résultat brut d’exploitation. Une situation connue dans la plupart des banques européennes.

Ces résultats flatteurs, boostés dans tous les pays par la performance du quatrième trimestre, ont été acquis dans une conjoncture économique peu engageante, le PIB de l’UE n’ayant augmenté que de 0,9 pour cent en 2024 avec un maigre 0,8 pour cent dans la zone euro. Une des raisons de cette discordance est que les grandes banques européennes sont très présentes en dehors du Vieux Continent. Ainsi, les engagements internationaux représentent environ 25 pour cent des expositions des banques allemandes et 39 pour cent de celles des banques françaises, une proportion qui atteint ou dépasse les cinquante pour cent en Espagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.

L’exemple des deux plus grandes banques espagnoles est révélateur. Santander est particulièrement bien implantée en Amérique latine, où elle est un acteur majeur dans des pays comme le Brésil, le Chili et l’Argentine. Mais elle est aussi présente dans le nord-est des États-Unis. De son côté, BBVA, plus grand établissement financier au Mexique, travaille aussi en Colombie, au Pérou et dans le Sun Belt américain. Elle est devenue un acteur-clé en Turquie via le rachat de Garanti Bankasi en 2022.

À qui profitent ces bons résultats ? Aux actionnaires en premier lieu, par le biais du versement de dividendes mais aussi de plus en plus fréquemment par voie de rachats d’actions (la moitié de la distribution totale chez SG). Les versements augmentent de quarante à cinquante pour cent par rapport à 2023 dans la plupart des grandes banques. BNP Paribas a confirmé sa politique de distribution de soixante pour cent des bénéfices aux actionnaires, dont cinquante pour cent minimum en dividendes, au titre des exercices 2024, 2025 et 2026. Santander prévoit de la même manière de restituer dix milliards d’euros à ses actionnaires en 2025 et 2026, en plus de sa distribution standard de dividendes en espèces. La distribution sera de la moitié des bénéfices chez Intesa SanPaolo et de quarante pour cent chez Deutsche Bank. Par ailleurs les banques cajolent de plus en plus leurs actionnaires par le paiement en cours d’année de « dividendes anticipés ».

Qui dit profits en hausse dit aussi, logiquement, impôts plus élevés engrangés par l’État et les collectivités publiques. C’est encore plus vrai dans certains pays qui ont mis en place des surtaxes ponctuelles sur le secteur bancaire (Espagne) ou les grandes entreprises (France). Le Crédit Mutuel français a dénoncé la surtaxe « injuste » des bénéfices des grandes entreprises qui va lui coûter 400 millions d’euros « versés dans un puits sans fond ». Le Crédit Agricole devrait s’acquitter de 200 à 300 millions d’euros. La facture sera plus légère pour BNP Paribas mais « quelques dizaines de millions d’euros » tout de même.

Les profits historiques des banques européennes vont aussi leur permettre de mener à bien des projets déjà bien avancés, notamment leurs opérations de croissance externe. Unicredit cherchait à s’emparer de Commerzbank, mais les difficultés rencontrées l’ont amenée à se tourner vers sa compatriote Banco BPM. Toujours en Italie, en janvier 2025, Banca Monte dei Paschi di Siena, en quasi-faillite il y a moins de dix ans, a annoncé en janvier 2025 lancer une offre d’acquisition de 13,3 milliards d’euros sur « la pépite » Mediobanca. Fin décembre 2024, BNP Paribas a signé un accord d’acquisition du gestionnaire d’actifs Axa Investment Managers, une opération à plus de cinq milliards d’euros dont la conclusion est attendue mi-2025.

Plusieurs constats viennent tempérer l’euphorie des bons résultats. Les banques européennes restent depuis plusieurs années délaissées par les investisseurs, avec dans l’UE un rapport cours de l’action sur bénéfices réalisés (PER) souvent compris entre six et huit, un multiple très inférieur à celui des marchés boursiers sur lesquels elles sont cotées. Par ailleurs elles font toujours aussi pâle figure face à leurs rivales américaines. La différence se voit tant au niveau du montant des profits que de leur progression.

Les cinq premières banques américaines (Bank of America, Citigroup, Goldman Sachs, JP Morgan et Wells Fargo), portées par une économie plus dynamique (le PIB américain a augmenté de près de trois pour cent l’année dernière) ont engrangé 132,3 milliards de dollars de bénéfices en 2024, soit une hausse de 19 pour cent en un an.

La seule JP Morgan a représenté plus de 44 pour cent de ce montant. Son profit total, de 58,5 milliards de dollars dépasse même les profits cumulés de six grandes banques européennes (BNP Paribas, Santander, BBVA, Intesa SanPaolo, ING et Deutsche Bank). En termes de progression, c’est Goldman Sachs qui remporte la palme avec 68 pour cent, devant Citigroup (37 pour cent) et JP Morgan (22,5 pour cent) tandis que Wells Fargo et Bank of America sont à la traîne (respectivement trois et 2,3 pour cent).

L’écart est encore plus grand sous l’angle de la capitalisation boursière : début février 2025 JP Morgan valait neuf fois plus que Santander, première banque européenne sur ce critère. Les cinq principales banques américaines valaient 4,5 fois plus que leurs cinq homologues de la zone euro (Santander, BNP Paribas, Intesa SanPaolo, Unicredit et BBVA).

Pour Jean-Laurent Bonnafé, le directeur général de BNP Paribas, l’écart de performance qui sépare les banques européennes des américaines est dû à l’absence de marché unifié des capitaux de ce côté-ci de l’Atlantique, qui empêche l’UE de profiter d’un marché intérieur (en termes de population) supérieur d’un tiers à celui des États-Unis.

De plus, selon lui, les banques américaines ne sont pas soumises aux mêmes règles, notamment « dans les activités de marché, de grande clientèle, de prêts, de financement de projets ». La déréglementation financière « tous azimuts » voulue par Donald Trump ne va pas arranger les choses, d’autant que la conjoncture économique va à peine s’améliorer, avec un PIB prévu en hausse de 1,5 pour cent seulement dans l’UE et de 1,3 pour cent en zone euro et des taux d’intérêt orientés à la baisse.

La réglementation mondiale, dite « Bâle III », est discrètement entrée en vigueur en janvier 2025 au sein de la zone euro, contraignant les banques à de lourds investissements informatiques pour la respecter. En revanche, aux Etats-Unis, sous l’impulsion d’Elon Musk, son application sera repoussée à une date indéterminée. Par contagion, la Banque d’Angleterre a fait de même, se donnant jusqu’à 2027 pour s’y mettre. Les autres Européens ont de quoi se plaindre, à l’image de Stéphane Boujnah, le patron d’Euronext qui gère sept bourses européennes, pour qui « les uns partent dans la course en baskets et nous en tongs ».

À l’heure où ces lignes ont été écrites, les résultats des banques britanniques n’étaient
pas encore connus.

Georges Canto
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