Politique culturelle d'austérité

Désertification

d'Lëtzebuerger Land vom 28.08.2015

« Strange feeling. Silent summer @naturmusee because of #MNHNLexhibitionredesign » tweetait le responsable des relations publiques, Patrick Michaely, ce mercredi matin. Un petit film attaché au tweet montre des salles vides là où normalement des groupes d’enfants s’étonnent et s’agitent devant les animaux empaillés et les explications sur l’évolution géologique de la planète. Le Naturmusée refait la présentation de sa collection permanente et sera donc entièrement fermé jusqu’en décembre de cette année, encore partiellement jusqu’à la fin 2016. À quelques centaines de mètres de là, le Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, actuellement surtout dans le presse pour la polémique de l’exposition annulée de Deborah de Robertis, fermera lui aussi ses portes pour réaménagements en janvier 2016, pour deux mois et demi, et abandonnera ensuite presque tout son rez-de-chaussée comme espace d’exposition afin de le transformer en lieu de rencontres, avec un café-restaurant qui sera sans conteste très beau. Cette année, il aura présenté six expositions, dont deux sous-traitées (aux Design Friends et au Mois européen de la photographie), plus une résidence d’artiste – contre onze expositions la première année de son existence en tant que asbl, en 1996.

Au Marché-aux-Poissons, le Musée national d’histoire et d’art montre une grande exposition sur les momies, réalisée par le musée Reiss-Engelhorn de Mannheim – qui dure six mois, jusqu’en janvier 2016 encore. Six mois est également la durée de l’exposition exhaustive sur les relations entre art et technologie au Mudam, Eppur si muove, réalisée en collaboration avec le Musée des arts et métiers de Paris. Le même Mudam a vu sa dotation réservée à l’acquisition d’œuvres d’art supprimée et n’a plus pu acheter que cinq œuvres (dont deux à des Luxembourgeois) en 2014. Tout se passe comme si, à terme, la ministre de la Culture, Maggy Nagel (DP), qui se plaint régulièrement dans des interviews qu’il y a une offre surabondante en culture, à tel point qu’elle ne peut pas donner suite aux nombreuses invitations qu’elle reçoit, se verra rassurée : sa politique d’austérité et de coupes claires dans les budgets culturels a déjà des conséquences durables sur l’offre culturelle. Peu à peu, les institutions culturelles sont vidées de leur substantifique moelle, le contenu. Alors les coquilles restent, les beaux bâtiments trop chers à entretenir et les équipes relativement bien rémunérées, les audits des fiduciaires et les frais de surveillance externalisée – mais les budgets de production, qui sont souvent considérées comme variables d’ajustement, en font les frais.

Bien sûr, tout cela se passe dans la plus grande discrétion, personne ne voulant laisser transparaître que le roi est nu. Mais les programmes deviennent de plus en plus légers, les agendas des maisons étant remplis d’une lecture par-ci, d’un atelier pour enfants ou d’une visite pour familles par-là. Durant des années, la politique a tout misé sur la médiation – et a oublié la question centrale, celle de la programmation, celle du sens.

Pour prouver cette impression subjective, il suffit de regarder les chiffres. Par exemple ceux compilés et mis en perspective par le statisticien Philippe Robin, dans son étude Financement public de la culture – Tableaux de bord du financement du ministère de la Culture (2000-2015)1. Philippe Robin, qui a longtemps travaillé pour le ministère, avant de voir son contrat brusquement rompu (voir entretien ci-dessous), prouve avec maints graphiques et tableaux cette évidence : la baisse substantielle des attributions publiques à la Culture, qui ne représente plus que 0,88 pour cent du budget d’État, plus de trois quarts de ce budget étant consacrés au patrimoine et aux arts du spectacle. Seulement 0,1 pour cent (!) des crédits culturels sont attribués à la création, alors que même les associations dépendent à plus de la moitié de leur budget du soutien financier du ministère. Mais, de l’autre côté, la contribution du secteur culturel au développement de la culture est toujours sous-estimée, bien que le secteur contribue à au moins un pour cent au PIB.

Bien sûr, cette déchéance n’est pas de la seule responsabilité de Maggy Nagel. Avant elle, il y a eu Octavie Modert et François Biltgen (CSV), prônant déjà la fin des années fastes en culture. Et à côté d’elle, il y a un gouvernement libéral au sein duquel aucun ministre ayant du poids politique ne voulait de ce ressort et qui ne voit visiblement aucune utilité dans une culture riche et diversifiée – même pour le nation branding ou le tourisme. Les pionniers des vingt glorieuses de la culture, eux, jettent l’éponge, dépités de voire cette lente érosion de ce qu’ils ont construit.

1 Le Land publie l’étude dans son entièreté sur Internet et via les réseaux sociaux.
josée hansen
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