Eric Schockmel, Vestibule (Circuit II)

Tamagotchi 2013

d'Lëtzebuerger Land vom 28.06.2013

Devant la porte : une benne remplie de gravats venant d’un chantier voisin. À droite, la Hollerëcher Stuff tente d’attirer le chaland avec ses plats du jour et son wifi gratuit pour les clients. Devant la porte : des jeunes hipsters en chemises à carreaux, t-shirts à messages, shorts et baskets, une bière ou un verre de crémant à la main. Le vernissage de l’exposition d’Eric Schockmel, début juin, à la galerie Bergman Berglind, avait des airs de Brooklyn ou de Tribeca, de Berlin ou de Londres... Ici, rue Baudouin à Hollerich, en bordure de la place devant l’église, le Luxembourg a un côté rock’n roll, direct, loin du chichi bourgeois de la Ville haute. Et pourtant, ce petit espace d’exposition impeccable, haut de plafond et riche en stucs et en lumière naturelle, est déjà appelé à disparaître, le bail a été résilié, l’immeuble vendu ; cette exposition est la dernière dans ces locaux. Le couple Bergman Berglind toutefois veut continuer son travail ailleurs et est à la recherche d’un espace adéquat.

Le contraste entre l’extérieur bucolique à l’époque des arbres en fleurs et l’œuvre exposée à l’intérieur, technologique, aseptisée, rigoureuse, semble énorme cette fois-ci. Mais ce n’est qu’une illusion : l’installation Vestibule que l’artiste multi-média luxembourgeois qui vit et travaille à Londres a réalisée pour son exposition éponyme parle du même cycle de vie, de sa genèse et de l’organisation sociale qu’on observe IRL (in real life) en extérieur. Déclinée en six écrans, Vestibule (circuit II) raconte la naissance de petites créatures numériques par un grand Administrator, qui a l’apparence de Hal 9 000 de la Space Odyssey de Kubrick (un « œil » rouge feu dans une sphère noire). Des « opérateurs », robots tentaculaires, suivent cette créature digitale, qui rejoint l’univers beaucoup plus vivant d’une nature luxuriante sur les écrans d’en face. Elle y est immédiatement adorée par les autres habitants, comme un messie, on lui érige un Totem to the feathered serpent...

L’univers d’Eric Schockmel est intrigant, parce qu’il consiste en une tension dialectique entre le monde digital le plus sophistiqué et des réflexes politiques ou religieux les plus archaïques ; entre la technologie sci-fi à l’esthétique léchée et les rites tribaux ancestraux. Un peu comme une suite des tamagotchis, il y a dix ans, ces petits gadgets japonais qui tentaient de concilier la fascination alors moderne pour la dématérialisation et la propension humaine de prendre soin d’un être sans défense. Pour l’esthétique des projections d’Eric Schockmel, on pense à Paul Kirps et ses machines bidouillées qui constituent Autoreverse.

Dans tout son travail – qu’on avait découvert avec ses Syscapes dans l’exposition Elo au Mudam (installation video qui a depuis rejoint la collection du musée) –, Eric Schockmel, nourri à la culture de la science fiction et d’Internet autant qu’à la philosophie politique, interroge les structures de pouvoir inhérentes à la société : Comment est-ce que les groupes fonctionnent entre eux ? Comment l’autorité est-elle non seulement acceptée, mais même voulue ? Son approche n’est ludique qu’en apparence.

L’exposition Vestibule (Circuit II) d’Eric Schockmel dure encore jusqu’à demain, samedi 29 juin, à la galerie Bergman Berglind, 49, rue Baudouin ; plus d’informations : www.bergmanberglind.com ; site de l’artiste : http://ericschockmel.net.
josée hansen
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