La région de la Moselle a des atouts considérables pour attirer les touristes, mais reste moins visitée que ses voisines. Tentatives d’explications sur place

Je n’irai pas dormir chez vous

Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 24.09.2021

39 kilomètres Entre Schengen et Mertert, la rivière Moselle marque très clairement le paysage. Frontière naturelle avec l’Allemagne, voie fluviale de transport et de loisirs, elle a creusé une vallée et façonné ses flancs où poussent des vignes depuis l’époque romaine. Voilà pour le côté face, vanté par les offices de tourisme à coup de brochures et sites internet, qui n’oublient pas la cité thermale de Mondorf voire le site archéologique de Dalheim. Mais la Moselle, c’est aussi des hôtels vides, en vente ou transformés en résidences, des parkings le long de l’eau qui gâchent la vue, un tourisme à la journée, une population quelque peu vieillissante (qui s’observe par exemple dans les restaurants).

Attirant bon an, mal an entre six et sept pour cent des nuitées réalisées au Luxembourg (source : Statec), la Moselle a du mal à s’affirmer comme une région touristique forte, surtout en comparaison avec le Mullerthal voisin qui comptabilise plus de quinze pour cent des nuitées nationales. La durée moyenne de séjour étant de 2,3 jours à la Moselle contre 4,2 au Mullerthal. Le constat n’est pas nouveau, même si les chiffres ont été meilleurs au tournant du siècle, atteignant dix pour cent des nuitées en 1990.

Il n’est guère étonnant que le nombre de nuitées stagne quand même les officiels n’y croient pas : Nathalie Neiers, gestionnaire de l’Office régional du tourisme (ORT Visit Moselle) affirme ainsi : « Nous visons les touristes d’un jour, venus de la Grande-Région et les expatriés qui vivent au Luxembourg ». Elle admet face au Land que « l’hébergement est un sujet qui fâche » et qu’il « y a un manque patent d’hôtels ». On compte actuellement 21 structures d’hébergements, soit 589 chambres, dans la région. Un chiffre en constante érosion depuis une dizaine d’années passant de trente hôtels, pensions et auberges en 2012 à 23 en 2016…

Les raisons de cette érosion tiennent à des aspects politiques, économiques et sociaux. « Il y a un problème de gestion et de succession, les nouvelles générations ne veulent plus faire le dur métier de leurs parents », analyse Désirée Albert, à la tête, avec son frère, de l’hôtel-restaurant L’Écluse à Stadtbredimus. Elle note « c’est encore pire maintenant après les périodes de fermeture : ils ont vu que d’autres voies professionnelles étaient possibles, moins contraignantes, ils ont goûté à la vie de famille et mesurent l’incertitude qui plane sur nos métiers. C’est aussi le cas des employés, ce qui rend la gestion de l’entreprise complexe, avec la difficulté de recruter et une série de normes et réglementations assez étouffantes ». « Les jeunes préfèrent vendre à des promoteurs, quitte à ce que les bâtiments soient transformés en logements », confirme Nathalie Neiers, rejointe par Désirée Albert qui cite en vrac, le poids fiscal des plus-values immobilières, la difficulté d’obtenir des crédits, le coût de l’indivision lors de successions. C’est précisément ce qui arrive à l’hôtel Saint-Nicolas à Remich, qui a été vendu à un promoteur pour être transformé en logements, comme le confirme Lucien Houdremont, son propriétaire qui veut encore maintenir l’activité pendant une année. « Le projet court sur 96 mètres de long entre la porte Saint Nicolas et la rue Wenkel. La commune veut cependant garder une activité hôtelière. »

Chambres avec vue À Schengen, le château, anciennement propriété de la congrégation Sainte-Élisabeth, est un exemple malheureux des déboires hôteliers à la Moselle. Exploité avec succès pendant plusieurs années par le groupe Goeres, (le chiffre d’affaires s’élevait en 2013 à environ 2,5 millions d’euros, selon Marcel Goeres), il a été vendu en 2016 pour onze millions d’euros. Classé monument historique, il ne peut pas être complément transformé, ce que l’investisseur espérait sans doute, et est depuis laissé à l’abandon. Plus loin, à Stadtbredimus, l’Auberge du Château est fermée, à Ehnen, l’Hôtel Simmer est devenu un restaurant chinois (et l’hôtel est resté vide) et le Bamberg est en travaux depuis plusieurs années (certains parlent d’un projet de restaurant japonais). Non loin de là, l’Hostellerie des Pêcheurs n’est ouvert que pour le restaurant (chinois, lui aussi), « les petits hôtels ne sont pas rentables » selon les dires du propriétaire, rapporté par sa voisine, Sandra Surreira. Après un premier succès avec les restaurants péruviens Mad about Peru, cette luso-luxembourgeoise a lancé, avec sa cheffe de cuisine Angie, à contre-courant des établissements proches, un hôtel-restaurant, Suma. Huit chambres (vue Moselle ou vue jardin), un restaurant italo-péruvien, un jardin aménagé, une décoration colorée et moderne… « Je ne vais pas dire que c’est facile tous les jours, mais quand il ya des animations, comme les fêtes de vin ou les événements sportifs, on fait le plein », raconte-t-elle. « Souvent, les clients me demandent ce qu’il y a à faire dans le coin et il faut bien dire qu’à part les randonnées à pied ou à vélo et les visites de caves, il n’y a pas grand-chose. Il faudrait une meilleure mise en valeur, des offres plus ciblées sur les jeunes, plus de dynamisme pour que les gens restent. » Avec des offres calibrées, le Suma a pu profiter de la manne des bons de cinquante euros : « Les locaux qui sont venus ont envie de revenir parce qu’ils se sentent en vacances, pas loin de chez eux. Cette région est superbe et a tous les atouts pour attirer des touristes jeunes et branchés. »

Avec ses 35 chambres, l’Écluse de la famille Albert a une toute autre dimension, mais c’est aussi l’engagement, la volonté et le travail qui ont fait son succès. Dans les années soixante, les parents de Désirée et Christian Albert ouvrent un station d’essence, puis un milk-bar. Ils ajoutent progressivement des chambres pour répondre à la demande de touristes (« surtout les Belges, touristes de coupons », détaille la patronne). En 1979, une nouvelle aile est construite pour atteindre douze chambres, puis 18. En 1989, les enfants reprennent l’établissement – « ce n’était pas ma vocation, j’étais employée de banque » – et y consentent quelques investissements pour moderniser les lieux. « En 2010, on a eu un déclic : il faut repartir à zéro, tout refaire pour avoir un établissement moderne, au goût du jour », rembobine-t-elle. Verre, bois et béton, grandes baies vitrées, plan d’eau, practice de golf… à peine treize mois de travaux et les 35 chambres flambant neuves sont inaugurées en octobre 2012 (l’image de l’ancien bâtiment est toujours visible sur Google Street view, pas pressé de mettre à jour). « La demande est là : des touristes, des représentants, des séminaires, des familles. Preuve que quand on est à l’écoute de la clientèle et qu’on sent l’air du temps, ça marche », affirme Désirée Albert.

D’autres voix plus discrètes regrettent le millefeuille d’organismes et associations qui se charge de la promotion touristique et qui « veulent faire plaisir à tout le monde, y compris les communes qui ne sont pas au bord de la Moselle et finalement n’avancent pas ». Luxembourg for Tourism (LFT) au niveau national, Visit Moselle et nombre de syndicats d’initiative au niveau local, avec des intérêts parfois divergeants. « Les structures locales et les bénévoles qui y sont investis sont essentiels pour faire vivre les projets locaux, sentiers thématiques, fêtes du vin, marchés artisanaux... », tempère Nathalie Neiers qui souligne le rôle de l’ORT Visit Moselle pour « montrer des pistes de développement, les tendances du marché en suivant les guidelines graphiques et visuelles développées par LTF ». La cohérence a longtemps fait défaut au niveau de la communication et de l’image de marque des différents acteurs de la promotion touristique. Le « brandbook » développé par le LFT (avec les Allemands du Sinus Institute et de l’agence Netzvitamine) est en effet progressivement adopté et adapté par les différents ORT. Visant un segment de touristes plus dynamiques, plus jeunes – appelés Explorers dans le jargon marketing – la communication est tournée vers des images plus intimes, plus inattendues, plus engageantes. « Il s’agit d’exploiter le potentiel narratif de chaque destination, sans fausses promesse, mais par le prisme d’expériences », détaille Valerio D’Alimonte en charge de la communication au LFT.

Centre mosellan « Je suis convaincue que la région a un gros potentiel inexploité, mais il y a des efforts à faire pour coordonner les actions et s’attaquer sérieusement aux projets » estime Désirée Albert qui fût un temps présidente de l’ORT. Elle énumère « un grand nombre de dossiers qui n’avancent pas vraiment » : la piste cyclable qui s’interrompt après Hettermillen, le quai pour bateaux à Ehnen (où le plancher fait toujours défaut), le manque d’éclairage sur certains sentiers et le musée du vin dont « on se demande s’il verra finalement le jour »… « Beaucoup de travaux sont entrepris qui ne se voient pas forcément », rétorque la gestionnaire de l’ORT à propos du musée, dont le concept muséographique est en train d’être affiné. Ce musée qui prendra le titre de « Centre mosellan » pourrait devenir un véritable atout. « Ce sera la porte d’entrée de la région », affirme Nathalie Neiers. Sa situation à Ehnen fait cependant débat. « Une façon de ne pas choisir entre Grevenmacher, Remich et Schengen, qui sont des localités autrement plus attractives où il y a déjà plus d’infrastructures », suggère un fin connaisseur de la région qui ajoute « Ehnen est surtout une localité où il n’y a pas de grands domaines viticoles qui risquerait de tirer la couverture à soi. » Bernard Massard est à Grevenmacher, Gales, Desom et Krier à Remich, Vinsmoselle à Wormeldange, Schengen et Wellenstein…

Les vignerons font aussi partie des solutions touristiques. Si beaucoup ont investi (avec des subventions de l’État) dans des salles de dégustations et proposent des visites de cave (d’Land 03.09.2021), les gîtes et chambres d’hôtes, une forme prisée d’agrotourisme, manquent à l’appel. La faute aussi à une réglementation obsolète qui impose, en zone agricole, de maintenir du bétail pour pouvoir développer une activité complémentaire. Plusieurs initiatives originales de logements éphémères et réversibles dans le vignes (de grands tonneaux transformés en chambres) ont été retoquées par le ministère de l’Environnement.

Les communes ou l’État pourraient aussi prendre la situation à bras le corps en rachetant les hôtels vides pour les louer à des entrepreneurs qui ont des idées, mais pas les moyens d’acheter ces biens magnifiquement situés. « Il faut une volonté et une stratégie politiques pour inciter à la création d’un important hôtel à la Moselle », suggère Marcel Goeres. Il manque aussi d’investisseurs locaux ou internationaux pour créer des projets d’envergure qui attirent un tourisme haut de gamme. À part à Mondorf où le Casino et son hôtel appartiennent au Wicker Gruppe allemand, et à Canach où le Mercure Kikuoka est sous la bannière du groupe Accor – aucun n’étant d’ailleurs en bord de Moselle – pas ou peu d’investisseurs internationaux s’intéressent à la région. « Un projet Leader (Liaison Entre Actions de Développement de l’Economie Rurale) est en cours avec les régions Mullerthal, Guttland et Éislek pour promouvoir le tourisme rural. Il s’agit notamment d’une étude sur le pouvoir économique de ce type de tourisme. À terme, le but est de montrer à des investisseurs le potentiel de nos région », ajoute Nathalie Neiers. Cela prendra encore longtemps pour voir les effets de cette étude.

France Clarinval
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