CD Taughtme d'Uzi and Ari

École buissonnière

d'Lëtzebuerger Land vom 25.09.2008

C’est ce qu’on appelle mettre les doigts dans l’engrenage ! Après avoir sorti le deuxième album remarqué et remarquable d’Uzi and Ari, It’s freezing out, Own Records nous gratifie de Taughtme, inconnu au bataillon, mais qui renseignement pris, cache le pro-jet de Blake Henderson, collaborateur et producteur adjoint des mêmes Uzi and Ari. Ces deux formations projets (toutes les deux gravitent autour d’un seul homme, mais s’étoffent au gré des prestations live), faisant partie du même (mini-)collectif, Clumsy Congregation, cultivent également le sens de l’esquive.

Esquive, car cet album, au titre très féminin Lady est un pied de nez au terre-à-terre et à la pesanteur. Méticuleusement, mais avec un détachement assez présent dans la voix, qui évolue dans un registre assez proche de Ben Gibbard de Death Cab for Cutie et de Postal Service, le Californien construit ses petites vignettes à partir de petits riens, souvent une ébauche d’accords à la guitare acoustique, qui sont retravaillées ensuite et agrémentés d’autres ajouts au gré des humeurs. Humeurs qui sem­blent avoir dicté une approche solennelle et dépouillée de par les rythmiques peu présentes, qui sonnent rudimentaires et bricolées. Cette même voix au phrasé étiré lévite au-dessus des morceaux tel un crooner maniéré à la limite de l’affect, tout en y imprimant une présence tantôt fantomatique, tantôt en murmures très proches. Résultat des courses, on se retrouve face à un album de grand relief, malgré ou grâce au bricolage lo-fi plein de charme, qui invite à la rêverie, véritable fil conducteur dans la discographie du label luxembourgeois, qui aime les œuvres avec un haut degré de contemplation.

Contemplation qui se retrouve magnifiée par le travail d’épure où les textures, voire les silences entre les notes font partie intégrante du sens de composition de Blake Henderson. Cela étant, il évoque Talk Talk époque Laughing stock, qui aurait pris des leçons de délica­-tesse auprès de Pinback et de sa pop au millimètre. Le dépouillement sert parfaitement les morceaux, qui gagnent en profondeur de champ et en vulnérabilité. Cette vulnérabilité, présente dans la voix et dans les arrangements au cordeau, instille également une belle innocence.

Innocence qui, de la même manière, invite l’auditeur dans l’univers personnel de Blake Henderson, on aimerait écrire sa chambre à coucher, tant Taughtme semble vouloir poser ses desseins les plus intimes sous forme de confessions sonores. Parmi celles-ci, on retient le très beau I told ya so, rêverie analogique tout en synthés et aux rythmiques changeantes, le très low Heaviest où une guitare triturée armée d’une seule distorsion pourfend le chorus ; l’aérien Please et sa longue mise en bouche qui débouche sur un mini couplet ; Dearest, qui se construit lentement, en se parant, partie après partie, de nouvelles couches sonores et vocales ; le bucolique Stomping of boots, qui, comme son titre l’indique, comporte comme fondement rythmique un bruit de bottes avant se laisser sa place à l’un des rares batteries présentes sur l’album.

Lady de Taughtme poursuit donc, d’une belle manière, ce cycle entamé par Own Records, il y a déjà quelques albums, proposer une pop contemplative et bricolée qui touche autant le ciel que le cœur.

David André
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