Un groupe de chercheurs, dont plusieurs climatologues, se sont penchés dans un article publié récemment dans les Proceedings of the National Academy of Science des États-Unis sur les « points de basculement sociaux ». « Parvenir à une décarbonation globale rapide pour stabiliser le climat dépend de manière critique de l’activation de processus de changement social et technologique contagieux et à diffusion rapide au cours des prochaines années », résument-ils.
À première vue, les recettes qu’ils préconisent semblent familières : les scientifiques, emmenés par Joachim Schellnhuber, listent des « interventions de basculement social » consistant à supprimer les subventions aux énergies fossiles, à encourager la production décentralisée d’énergie, à construire des villes au bilan carbone neutre, à sortir des investissements dans les énergies fossiles, à révéler les implications morales des combustibles fossiles, à renforcer l’éducation et l’engagement climatique et à rendre publique l’information sur les émissions de gaz à effet de serre. Ce qui est nouveau en revanche, c’est que ces scientifiques aient choisi de s’engager sur ce terrain que la plupart de leurs confrères prenaient soin, jusqu’ici, d’éviter pour ne pas se faire accuser de se mêler de politique, et ce en utilisant leurs propres méthodes.
On le sait, les cauchemars des climatologues sont peuplés de points de basculement qui menacent d’intervenir du fait de la fonte des pôles ou du permafrost, de la désertification des forêts tropicales ou du bouleversement des courants de convection océanique. Confrontés à l’inertie des sociétés humaines engagées dans la course au profit, les auteurs de cet article, parmi lesquels figure aussi Johan Rockström, directeur du renommé Potsdam-Institut, veulent croire à des mécanismes d’emballement comparables, mais dans les domaines de l’action sociale et politique.
Aux feedbacks nocifs qui anéantissent les équilibres planétaires, ils opposent les feedbacks positifs qui se déploieraient telle une épidémie salvatrice. « Une attention croissante est vouée au concept de dynamique de bascule en tant que mécanisme non-linéaire sous-tendant de tels changements systémiques disruptifs », écrivent-ils. Ils citent deux exemples historiques. Celui des écrits d’un homme, Martin Luther, « injectés grâce à la technologie de l’imprimerie au sein d’un public prêt à un tel changement, et qui ont débouché sur l’établissement d’églises protestantes dans le monde entier ». Plus récent, celui « de l’introduction de tarifs douaniers, subventions et objectifs pour encourager la croissance de la production d’énergie renouvelable, qui a eu pour conséquence une réponse systémique substantielle sous forme d’une croissance mutuellement entretenue du marché et une amélioration exponentielle des coûts technologiques ».
Ces mécanismes de diffusion de comportements, opinions, connaissances, technologies et normes sociales, y compris de changements structurels et de réorganisations, au sein de systèmes sociaux complexes « ressemblent aux dynamiques de la contagion observés en épidémiologie », notent-ils. Une fois lancés, ils peuvent s’avérer, comme les mécanismes planétaires d’emballement que l’on craint, « irréversibles et difficiles à arrêter ». Mais, contrairement à ceux-ci, ils seraient hautement bénéfiques.