Le débat sur l’obligation vaccinale Covid 19 a pris une drôle de tournure

« Le moment d’agir, c’est maintenant »

d'Lëtzebuerger Land du 29.07.2022

Les récents développements dans le débat autour de l’obligation vaccinale contre le virus de la Covid-19 sont pour le moins étonnants, sinon inquiétants. Ils sont certainement décevants. Fin 2021, le Premier Ministre a commandé un rapport à un petit groupe d’experts locaux, dont il promit avec véhémence de suivre les recommandations. Présenté dans sa première version le 14 janvier, le rapport contient surtout des arguments en faveur de la vaccination comme seul moyen de contenir la pandémie. On n’y trouve cependant aucune donnée justifiant l’obligation vaccinale en soi, sauf de façon implicite en tant que seul moyen d’augmenter la couverture vaccinale à un moment où les efforts purement volontaristes semblent ne plus montrer d’effets. La mise à jour récente du rapport (publiée en juillet) ne change rien à cet égard.

Des arguments éthiques et juridiques en faveur de l’obligation sont plutôt à chercher dans ma contribution parue dans cet hebdomadaire en décembre dernier, mais également dans le jugement rendu le 14 avril 2021 par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Amplement cité par les divers intervenants, cet arrêt a établi une norme juridique claire sur la question. Or, il semble avoir été peu lu dans le détail. Notons ici que la traduction allemande d’« obligation », objet de ce jugement, est « Pflicht », donc une obligation surtout morale ainsi que sociale, et non « Zwang », c’est-à-dire la contrainte. En janvier, la focalisation du débat sur l’efficacité de la vaccination résultait de la polémique orchestrée par les folkloristes de la « Marche Blanche », qui faisaient en outre miroiter des effets secondaires dramatiques sans pouvoir baser leurs affirmations sur des fondements scientifiques objectifs. Le rapport apparut dès lors comme un moyen pour dissiper l’inquiétude, mais aussi le courroux du Premier, le tout dans une situation épidémique dramatique et dans un environnement national et international où le débat penchait fortement en faveur de l’obligation vaccinale.

Pour rappel, les experts recommandent l’obligation pour les plus de cinquante ans, eu égard au taux de mortalité par Covid élevé dans cette frange démographique, ainsi qu’une obligation sectorielle pour les soignants. Ne furent pas examinés des arguments plaidant en faveur d’une obligation vaccinale touchant d’autres couches d’âge et d’autres groupes professionnels. Dès le départ, les experts semblaient donc à la recherche d’un compromis ; soit entre eux, soit par rapport à ce qu’ils perçurent comme étant négociable en ce moment. Il est fort probable qu’un autre groupe d’experts, dont la composition aurait été différente, serait arrivé à des recommandations en partie différentes. Notons que ni le rapport de janvier ni sa récente mise-à-jour n’ont bénéficié d’une relecture par des pairs, ni d’une publication des termes de références, comme il est à présent de bonne pratique scientifique car permettant de distinguer plus clairement entre une conclusion scientifique et une opinion personnelle, fut-elle éclairée.

Plus important, le fait que le gouvernement ne présenta aucun projet de loi dans les semaines qui suivirent (la vague était de nouveau retombée) fit fortement penser que l’initiative avait fait long feu et que le projet, décrit par la ministre de la Justice comme nécessitant un soin particulièrement attentif et donc très long, avait fini sa trajectoire dans les proverbiaux tiroirs. En politique, « mûrir » est un euphémisme courant pour « laisser pourrir ». Les experts se retrouvaient donc piégés par les politiques qui tout en acceptant la première version du rapport n’en eurent cure

À l’impact chaotique et meurtrier du variant Delta suivirent de nouvelles vagues dues à des souches encore plus transmissibles, émanant d’une nouvelle famille nommée Omicron et portant un nombre considérable de mutations. Celles-ci permettent au virus d’échapper, par avantage évolutionniste compétitif, à l’action des anticorps présents dans la population. Or il se trouve que l’immunité cellulaire n’est guère entamée par ces mutations et que le degré exceptionnel de protection conféré surtout par les vaccins à ARN messager contre les formes graves resta largement intact. Hélas, cette évolution a fait admettre dans des larges couches de la population, des médias et surtout des responsables politiques que le virus SARS CoV 2 aurait atteint son niveau d’atténuation durable, que l’impact clinique n’aurait plus rien d’inquiétant. La vaccination serait donc devenue largement inutile pour contrer la transmission et devrait être réservée aux seuls groupes à risque tels que nos grands aînés. La pandémie finirait par disparaître du monde comme elle l’a fait des titres de la presse, désormais envahie par les nouvelles sur l’agression russe en Ukraine. Or, c’est faire abstraction du fait qu’une une bonne partie de la population (environ vingt pour cent) reste vulnérable à cent pour cent, car exempte de doses suffisantes de vaccins en termes de primo-vaccination ou de rappels, et que chaque semaine, des malades continuent de mourir des suites de la Covid-19 . Ces nombreux drames ont été vécus durant les derniers six mois dans une indifférence générale difficile à expliquer.

Ces croyances des politiques dans la disparition spontanée des menaces ne relèvent pas d’un optimisme bon teint mais plutôt de cette pensée magique qui est fortement disséminée et qui accompagne les errements de la lutte contre la Covid depuis fin 2019. C’est d’ailleurs cette même atonie qui est responsable de l’abandon généralisé des attitudes de précaution acquises au début de la lutte contre la pandémie.

Soulignons que le passage à l’endémicité d’une maladie infectieuse ne s’accompagne pas automatiquement d’une perte de pathogénicité. Ainsi, le paludisme est endémique dans la plupart des pays où il sévit tout en continuant à tuer femmes enceintes et enfants par millions. Ce passage n’est ni obligatoire ni obligatoirement très rapide. Le virus continuera à circuler et à produire des mutations et des percées immunitaires aussi longtemps que la population mondiale dans son ensemble n’aura pas acquis d’immunité durable et de très haut niveau, ce qui pour le moment est loin d’être acquis. Personne, sauf apparemment la ministre de la Santé, ne croit vraiment à la disparition du SARS CoV 2

Les réactions au rapport des experts et de sa mise à jour sont en ce sens exaspérantes. Ce n’est pas le moment de baisser la garde. Une grande partie de la population, si elle n’est pas rapidement boostée une deuxième fois (quatrième dose), risquera de voir leur protection s’éroder inexorablement. À ce moment, l’avantage compétitif des mutations Omicron s’affaiblirait et le terrain se prêterait de nouveau à l’expansion de la souche Delta, plus pathogène et qui n’a jamais disparu de la circulation en Europe. De nouveau, la vulnérabilité de la population augmenterait de façon importante. Les politiques disent qu’alors, ils rendraient la vaccination obligatoire. Or, le moment d’agir, c’est maintenant, car il faudra des semaines pour préparer une campagne d’envergure et les anticorps post-vaccin mettent également un certain moment à rejoindre un niveau utile. Ces semaines pour agir sont là, devant nous. Les semaines nécessaires aux politiques pour débattre des moyens de vacciner ne le seront pas. On peut par ailleurs douter de la capacité d’appréciation des politiques si la situation viendrait à changer. Va-t-on de nouveau faire intervenir les habituelles considérations anecdotiques et dilatoires, se baser sur les indicateurs trop tardifs comme les admissions en soins intensifs qui ne représentent que le sommet de l’iceberg, une fois une nouvelle vague en marche.

La possibilité réelle d’une nouvelle flambée est bien mentionnée dans la mise à jour du rapport des experts mais noyée dans une multitude d’hypothèses et de modélisations, certes de grande qualité mais rendues peu lisibles. Il n’étonnera personne que le monde politique n’en ait retenu que les plus optimistes. Ce jeu-là nous a déjà coûté vingt ans dans la lutte contre le dérèglement climatique.

La chose la plus décevante dans la mise à jour du rapport des experts, présentée le 5 juillet, est son revirement à 180 degrés par rapport à l’obligation sectorielle. On pense le vaccin actuel peu trop peu efficace contre la transmission. Or, si on retient une efficacité anti-transmission aux alentours de 25 pour cent, par une estimation très approximative, le vaccin actuel ferait monter la protection collective dans les cliniques et maisons de retraite à cinquante pour cent si l’ensemble des soignants était vacciné. Le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? Qui plus est, les prochaines semaines verront l’arrivée de des vaccins mieux adaptés aux souches circulantes donc possiblement beaucoup plus actives sur la transmission. Dans le rapport, aucune mention n’est faite d’alternatives, comme l’amélioration de la qualité de l’air circulant dans les environnements hospitaliers, une mesure efficace contre la transmission virale et bénéfiques à de nombreux autres égards.

Ainsi, les experts eux-mêmes s’empressent à fournir des arguments pour se faire battre en retrait. En effet, de nombreux arguments supplémentaires auraient pu être avancés en faveur de l’obligation vaccinale des soignants : Leur devoir d’exemplarité, l’impérieuse nécessité de ne pas transmettre le virus dans certaines situations à risque, le respect dû au patient et à son intégrité physique. Finalement, l’hypothèse d’une action efficace de la vaccination contre l’absentéisme est elle-aussi recevable dans ce contexte. Les vaccinés sont moins malades et récupèrent plus vite : la charge de travail est mieux gérable. Bien évidemment, des études précises sur ces questions se font attendre, mais leur absence ou la présence uniquement partielle de données auraient tout aussi bien pu permettre aux experts de camper sur leur position initiale, en attendant des conclusions d’études à venir, à l’instar de leurs collègues dans un certain nombre de pays voisins qui, eux, n’ont pas abandonné le principe de l’obligation pour les soignants. Le retour en arrière des experts luxembourgeois indiquerait-il une négociation interne, ou le gouvernement aurait-il tiré des lignes rouges au préalable ? Pour preuve de ce soupçon, on peut mentionner le fait que les deux versions du rapport n’examinent pas le problème de l’absence de données précises sur les raisons du refus vaccinal, ni les chez les professionnels (mais où des données nous viennent des pays voisins), ni chez les vingt pour cent de non-vaccinés dans la population globale. Pour éclaircir ces problèmes, les moyens ne manquent pourtant pas à la « Research Task Force ». Des méthodologies en sciences sociales existent, et sont disposition de chercheurs spécialisés. Dans ce contexte, on peut être surpris par la recommandation des experts de lancer encore davantage de campagnes d’informations auprès du personnel soignant en faveur d’une mesure qu’ils viennent de décrédibiliser et qu’ils ne savent cibler suffisamment.

Finalement le piège de l’alibi scientifique s’est refermé sur eux une deuxième fois. Il est clair que le monde politique, majorité et opposition confondues, dont les prises de position à la Chambre semblent tous calquées sur le même briefing, a commandité une mise à jour du rapport afin d’instrumentaliser celui-ci dans leurs buts. Le déni est digne d’une opérette. Le respect devant la parole scientifique est très faible, il se limite à une rhétorique polie. En fin de compte, chacun se sert de son appréciation propre sur la virulence du virus sans suivre les données objectives.

En présentant de bonne foi une synthèse des travaux actuels de grande qualité, mais en mettant l’accent sur une – certes très relative – innocuité des souches Omicron, tout en ignorant un grand nombre d’aspects non biologiques en faveur de la vaccination obligatoire, le conseil des experts a fait le jeu du gouvernement. Celui-ci ne veut ni d’un débat interne exposant ses contradictions, ni d’un débat sociétal plus large réveillant les organisations de charlatans.

L’extraordinaire retour de veste des politiques s’accompagne régulièrement de l’invocation de la proportionnalité. Mais on peut tout à fait douter du bien-fondé de ce principe dans le débat sur la de vaccination obligatoire. Quelle est donc la dimension de la proportionnalité entre effets bénéfiques des vaccins (vingt millions de vies sauvées dans le monde, utilisation d’un produit parmi les plus sûrs jamais mis sur le marché) et la violation de l’intégrité physique d’un individu ? Soyons sérieux : l’administration d’un vaccin n’est autre que la reproduction ciblée d’un phénomène biologique qui se déroule des centaines de milliers de fois par jour dans un organisme construisant son immunité afin de survivre. Notons que le jugement de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ne considère ce principe que pour la relation entre le refus de la vaccination et les sanctions, ce que personne ne contestera.

Finalement, une intention bien fondée s’est transformée en eau de boudin. D’abord, parce que notre classe politique n’est pas capable d’accepter un débat scientifique de qualité. Beaucoup de travail semble encore nécessaire pour rapprocher la science de la politique, notamment par une politique de l’expertise scientifique qui n’a pas trouvé son heure de gloire lors du Covid. Le fait que très peu d’élus disposent d’une formation scientifique suffisamment avancée n’aide en rien. Pas plus que certains scientifiques affichant leurs ambitions politiques en se basant sur leur soudaine notoriété. L’autre vérité, c’est que cette classe ne peut accepter ni le principe de précaution, ni le principe de prévention, qui y est lié.

Ainsi, très récemment, le ministre de l’Économie n’a pu s’abstenir d’aller inaugurer une fabrique de cigarettes, alors même que le tabagisme tue chaque année des centaines de nos concitoyennes et concitoyens. Preuve s’il en est que l’intégration de la santé dans les politiques publiques, pourtant insérée par les traités européens, a encore beaucoup de chemin à parcourir.

Michel Pletschette est médecin spécialiste en microbiologie, virologie et épidémiologie des infections, attaché au département des maladies infectieuses et tropicales du Centre Médical de l’Université de Munich

Michel Pletschette
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