Un chef de fraction et deux présidentes de parti se présentent aux communales à Mamer en pensant aux législatives

11/06-08/10

Affiche de Gilles Roth (CSV)
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 02.06.2023

Un monument en bronze trône sur la place centrale. Elle représente Nicolaus Mameranus, fils du village, soldat de fortune et chroniqueur ultra-conservateur au service de Charles Quint. « On a dit de lui qu’il ne brillait pas par la modestie », rapporte à son propos l’archiviste Jules Vannérus. Et d’ajouter : « Il ne se montra plus en public, a-t-on dit, que le front ceint de lauriers ». La statue pointe du doigt en direction de La Croccante, la pizzeria d’en face. Mais le cœur du vieux Mamer bat dans la Belle Étoile, le shopping mall aux rappels rétro. Dans les cités endormies et bungalows isolés se réalise l’idéal de la « Mëttelklass ». L’article 12 du PAG en résume le lifestyle carboné : « Sont à considérer comme minimum : deux emplacements par maison unifamiliale ». Mamer, c’est deux parkings par famille et un député par mille électeurs. (3 800 étaient inscrits aux dernières législatives.) Gilles Roth (CSV), Djuna Bernard (Déi Gréng), Francine Closener (LSAP) et Fred Keup (ADR) résident tous dans la commune. Si le démagogue en chef de l’ADR n’a pas monté une liste (il déménage cet été à Garnich), les co-présidentes respectivement des Verts et du LSAP descendent dans l’arène communale. Celle-ci est dominée depuis un quart de siècle par le député-maire Gilles Roth. Aux dernières élections, le CSV décrochait six mandats (41,4 pour cent), alors que Déi Gréng (26,2) et le LSAP (20,6) en obtenaient trois chacun. Le DP a dû se contenter d’un siège (11,8).

Le maire et ses deux échevins affichent une bromance politique. Gilles Roth, Luc Feller (CSV) et Roger Negri (LSAP) paraissent inséparables. Le trio fait la une de quasiment toutes les éditions du Gemengebuet et apparaît longuement sur MamerTV, le canal Youtube de la commune (262 épisodes à ce jour). Roger Negri, le premier échevin socialiste et ancien député, est un homme fidèle. Dans le Tageblatt, Roth comparait leur relation à celle d’un « altes verheiratetes Paar ». Fomenter une majorité alternative n’entre pas dans l’horizon politique de l’échevin socialiste. En amont du scrutin, il souligne sa loyauté : « Je suis d’avis que le parti avec le plus de sièges doit prendre les choses en main et présenter le maire. » À moins que les conditions changent, il espère pouvoir continuer avec le CSV ; « mir sinn net schlecht gefuer ». En tant qu’ingénieur technicien aux CFL, Negri se plaît dans le rôle du grand bâtisseur communal. Pour le maire, il est aussi une assurance contre d’éventuelles velléités de renouvellement que pourrait développer Francine Closener.

Native de Capellen, où elle fréquentait la même école primaire que l’actuel maire (qui est d’un an et demi son aîné), Closener entre comme néophyte dans la politique communale. En quittant RTL pour se lancer en politique, elle a pris sa carte chez les Stater Sozialisten, et cela ne fait que deux ans qu’elle est officiellement membre de la section de Mamer. Son premier objectif, dit-elle, serait d’être élue. L’entrée au conseil communal s’impose-t-elle comme un passage obligé pour prétendre à la tête de liste, aux côtés de Franz Fayot, dans la circonscription Centre ? La co-présidente du LSAP ne veut commenter de tels scénarios en vue des législatives. Sur la liste qu’elle mène à Mamer, on trouve deux premiers conseillers travaillant pour des ministres socialistes : Vanessa Tarantini aux Sports et Abílio Fernandes-Morais à la Sécurité sociale. Mais c’est la candidature de Jane Exall que jalousent les autres partis. L’office manager anglo-irlandaise administre la page Facebook « My Mamer » (2 300 membres), qui fédère la communauté expat autour de « regular coffee mornings, evenings out, book clubs & craft making classes ».

Le rapport entre Luxembourgeois et étrangers s’établit à cinquante-cinquante, et 26 pour cent des non-Luxembourgeois se sont inscrits sur les listes électorales. L’ouverture en 2012 de la deuxième école européenne (à la frontière entre Bertrange et Mamer) a augmenté l’attractivité de la commune ; l’extension considérable du périmètre fait pousser les nouvelles résidences. Le fief de Gilles Roth s’est élargi. Entre 2010 et 2022, la population est passée de 7 600 à 10 600 habitants. À côté des habitants français (1 063 personnes), italiens (615), belges (519) ou portugais (486), Mamer compte d’importantes communautés grecque (283), espagnole (162) et danoise (148). Le parc « Brill », aménagé à grands frais, fait aujourd’hui figure de lieu de rencontre micro-métropolitain.

Les scores électoraux des Verts à Mamer comptent parmi les plus élevés du Luxembourg. Djuna Bernard a grandi dans ce milieu, sa mère, Mim Bernard, étant engagée chez les Verts depuis la fin des années 1990 (elle est aujourd’hui conseillère). La jeune co-présidente du parti souligne « la vie sociale très forte » avec des « randonnées de pleine lune », des « soirées Beaujolais » et des « Hierken-Iessen », qui rythmaient la vie militante. Mais, plus fondamentalement, estime-t-elle, les réalités socio-démographiques de Mamer « tick all the boxes ». Puis d’ajouter : « C’est aussi le cas du DP, mais celui-ci n’obtient que onze pour cent des votes... » La force des Verts est indirectement liée à la rage dégagiste qui s’était emparée de la commune-dortoir en 1993. La résistance contre le projet d’une décharge industrielle à Haebicht avait décimé l’establishment politique : Le CSV tomba de 28 à treize, le LSAP de 34 à seize et les libéraux de 37 à 18 pour cent. À la tête d’une initiative citoyenne, le dentiste retraité Henri Hosch récolta 45 pour cent des votes et détrôna le maire socialiste sortant (et président du Landesverband) Josy Konz. La parenthèse Hosch se referma en 1999, mais son échevine, Edmée Besch-Glangé, rejoignit les Verts, ramenant une partie des voix écolo-Nimby.

Ayant atteint l’âge de la retraite, la génération des fondateurs passe le relais. En septembre dernier, Djuna Bernard se retrouve à devoir concocter une liste : « On avait cinq candidats, et il nous en fallait quinze ». En fin de compte, la liste des Verts s’appuie largement sur les réseaux familiaux. Deux tandems mère-fil(le)s et un couple pacsé ; soit six candidats (sur quinze) risquant une incompatibilité. En tant qu’opératrice politique, Djuna Bernard joue le jeu. Elle se montre disponible pour une coalition avec le CSV : « Cette option, l’ancienne garde l’aurait exclue, mais la nouvelle garde est plus realpolitesch ». Si le LSAP et Déi Gréng gagnaient en voix, une coalition avec le DP serait également envisageable. Aux législatives, Bernard sera candidate dans la circonscription Centre, « pour les mêmes raisons qu’en 2018 » : De par « la mentalité et la population », Mamer serait plus proche du Centre, estime-t-elle. Ses « réseaux » se situeraient surtout en Ville. Elle aurait ainsi remarqué qu’à Esch ou Differdange elle est peu reconnue dans les rues.

Écrasé par l’hégémonie chrétienne-sociale, le DP ne joue qu’un rôle marginal. La petite notabilité se retrouve désormais sur la liste CSV : Tel conseiller PME de la Spuerkeess, membre du Lions Club Mameranus, tel expert-comptable, président de la chorale du village, tel restaurateur, président du club de basket. Le DP présente, lui, deux têtes de liste : le conseiller sortant Sven Bindels est employé de la Poste et arbitre de foot, Jessica Klopp est institutrice au fondamental à Strassen. La trentenaire est issue d’une famille DP. Son père, Alfred Klopp, était conseiller communal et manager retraité de Cebi Group (la firme du père de Joëlle Elvinger, l’ancienne députée-maire libérale de Walferdange) ; sa mère, Sylvie Zangerlé, est présidente des Femmes libérales Mamer-Sanem et travaillait comme vendeuse dans le magasin de jouets Ars Libri à Bonnevoie (elle est également candidate sur la liste). Jessica Klopp est bien implantée dans la vie locale. Jusqu’à la fin du lycée, elle officiait comme enfant de chœur et elle continue à jouer le trombone dans l’Harmonie municipale. Sur la liste, on retrouve également Claude Karger. L’ancien rédacteur en chef du Journal aurait déjà aidé son père à mettre par écrit les programmes du DP Mamer, raconte Jessica Klopp.

Le match des communales pourrait se jouer sur la liste du CSV, entre le maire et son lieutenant. En 2017, l’écart entre Gilles Roth et Luc Feller n’avait été que de 469 voix. En 2014, le libéral Xavier Bettel avait écarté Feller du secrétariat général du ministère d’État ; en 2020, celui-ci s’est retrouvé projeté dans le rôle de « Monsieur Logistique » de la crise sanitaire. Si le Haut-commissaire à la protection nationale récoltait plus de voix que le député-maire, ils en discuteraient « le moment venu », dit Roth. Luc Feller ne veut pas se prononcer sur de telles « hypothèses ». Quant à la question des incompatibilités, il se réfère à la loi sur le Haut-Commissariat à la Protection nationale qui n’en prévoit pas. (Mamer venant de passer le cap des 10 000 habitants, son maire peut prétendre à quarante heures de congé politique.) Negri ne croit pas à un clash entre les deux hommes : « Si halen zesumme wann et drop ukënnt ; do kënnt Dir Iech drop verloossen... »

Ce qui se joue pour Roth en 2023, c’est moins une quatrième reconduction à la mairie qu’une entrée au gouvernement. Avec Laurent Mosar, Léon Gloden et Marc Lies, il fait partie des éternels frustrés du CSV, ceux qui n’ont jamais accédé aux honneurs ministériels. Cela fait longtemps que Roth en rêve. Son tour semblait venu en avril 2013. Le Wort lui attesta de « bonnes chances », le Journal « les meilleures chances ». Mais lors de cet ultime remaniement ministériel sous l’égide de Jean-Claude Juncker (un autre habitant de Mamer), Gilles Roth se fit supplanter par Marc Spautz. Le canton d’Esch s’imposa au détriment du canton de Capellen. Dix ans plus tard, Gilles Roth prépare de nouveau le terrain. Il ne tarit pas d’éloges sur Luc Frieden, sous lequel il a travaillé entre 1998 et 2007 en tant que premier conseiller aux Finances. Le député-maire a ainsi pris l’habitude de clôturer ses discours par la catchphrase : « Vive de Grand-Duc, a vive onse Luc ! » Interrogé par le Land, il préfère ne pas trop s’avancer sur ses plans de carrière. Le CSV, dit-il, ne devrait pas refaire la même erreur qu’en 2018 et « distribuer des postes avant même les élections ».

Sur le terrain, Roth ne laisse rien au hasard. Son portrait (sans slogan ni colistier) orne des centaines de lampadaires le long de la route d’Arlon. Les colonnes du CSV se sont lancées le samedi 13 mai, « une minute après minuit », dit-il. « On avait des difficultés à trouver encore des poteaux pour nos affiches », se plaint Jessica Klopp. Djuna Bernard dénonce une forme de « culte de la personnalité ». Cette domination visuelle prépare autant les communales de juin que les législatives d’octobre. La N6 traverse une bonne partie du canton de Capellen. Gilles Roth devra y faire le plein de voix, pour obtenir un bon score dans la circonscription Sud. Car dans le canton d’Esch, le maire de Mamer fait mauvaise figure. Aux législatives de 2018, il s’est classé dixième à Esch, onzième à Differdange et douzième à Dudelange sur la liste CSV. Plutôt que les villes du Minett, son terrain de prédilection ce sont des localités nanties comme Garnich ou Kehlen, où le juriste a fini deuxième, devancé par son rival électoral Félix Eischen.

Le 20 octobre 2013 fut un jour douloureux pour Gilles Roth. Une fois les bulletins de vote des législatives comptés, il aura perdu plus de 700 voix dans son fief de Mamer, chutant de 2 276 à 1 555 voix. Trois jours avant le dimanche électoral, le Tageblatt avait accusé le député-maire d’avoir fait « reclasser » des terrains situés derrière sa maison en zone agricole pour préserver sa vue. La prétendue affaire fera pschitt. Après une perquisition du Parquet et une audition par la PJ, l’enquête préliminaire (menée « contre inconnu ») débouche sur un classement sans suite. Plus tard, le maire parlera d’« une action concertée entre certains fonctionnaires et l’opposition communale » (Journal, 2014) et d’un « piège tendu par ses adversaires politiques » (Tageblatt, 2017). Pour Roth, l’épisode reste une « blessure » personnelle, « eng Sauerei ». Son impact politique reste difficile à évaluer. Et si la fin de l’hégémonie séculaire du CSV en 2013 s’était décidée à Mamer ? C’est du moins l’hypothèse qu’avancera Roger Negri quatre ans plus tard dans le Tageblatt : « Hätte Gilles Roth mehr Stimmen für die CSV im Südbezirk erhalten, hätte es vielleicht nicht zur aktuellen 32-Sitz Regierungsmajorität gereicht ». Dans la circonscription Sud, précise-t-il au Land, le LSAP avait obtenu d’extrême justesse un Reschtsëtz : « Si les Verts l’avaient eu, ils auraient peut-être fait une coalition avec le CSV… »

Bernard Thomas
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