Affaire DSK

On accuse... !

d'Lëtzebuerger Land vom 19.05.2011

L’homme sort nu de son bain. Crime. Il aime les femmes. Crime. L’homme est expert en pinances et en bourses. Crime. Il sait plusieurs langues. Crime. Il a de l’humour et fait des contrepèteries du genre « ce cas de Corée me turlupine ». Crime. Il emprunte la Porsche d’un ami. Crime. Il va parfois à New-York. Crime. Il a le souci de tout savoir. Crime. Il se trouble, crime, il ne se trouble pas, crime. Il porte deux noms juifs. Double crime.

Dominique Strauss-Kahn avait confié, il y a moins d’un mois, au journal Libération qu’il avait trois difficultés à surmonter. Dans l’ordre : « le fric, les femmes et ma judéité. » Le même journal, dans son édition du lundi 16 mai, les résume, à sa façon, par un formidable lapsus : « DSK avait franchi toutes les obstacles ». L’obstacle est féminin, forcément féminin. La mythologie nous apprend pourtant que sexualité et pouvoir ne font pas bon ménage, aussi la première fait-elle sans ménagement le ménage parmi les puissants. Pour avoir voulu l’un et l’autre, Wotan, dans la « Tétralogie » de Wagner, s’est vu briser sa lance.

Dans l’affaire Strauss-Kahn on évoque, bien sûr, le traquenard. Mais pour se faire prendre dans la souricière, la souris doit aimer le fromage. Et DSK aime les femmes, il et on l’ont dit. Encore faut-il se demander de quelle manière. Jusqu’ici, on a connu et (au moins en France) admiré le séducteur. Et séduction et politique font la paire. Séduire et jouir du corps (qu’il soit électoral ou viscéral) entre adultes consentants ne regarde pas les juges, tout au plus le confessionnal et les sondages.

Mais dans la présente affaire, c’est d’un autre registre qu’il s’agit. On passe de la séduction à l’agression et au viol. De doctes psychiatres ont vu dans le passage à l’acte du président du FMI qui une expiation sacrificielle, qui une addiction sexuelle, qui un acte manqué fomenté par l’inconscient strauss-kahnien pour ne pas se retrouver président de la République. Alors qu’il suffit de relire Freud pour tenter tant soit peu d’interpréter le geste leste de DSK. Dans notre sexualité, qu’elle soit infantile ou pas, nous sommes tous un peu des pervers polymorphes, nous explique le maître de Vienne. Mais il est tout aussi vrai que cette perversion des psychanalystes n’a rien à voir avec un bourreau d’enfants comme Dutroux ou à un serial killer comme Jack the Ripper. Il s’agit tout simplement d’un rapport à l’autre où on ne paie pas de sa personne, où on ne s’engage pas (psychiquement du moins), où l’amitié et l’amour se nouent avec des objets plutôt qu’avec des sujets. Ces pervers-là sont d’ailleurs très souvent des hommes et des femmes intelligents et généreux, ils sont tout simplement, en quelque sorte, des autistes de la relation humaine.

Le DSK qu’on voudrait nous présenter ferait alors partie de ces individus-là et il n’aurait donc pas vu dans la femme de chambre un être en chair et en os, mais un obscur objet de désir. Il n’aurait pas voulu coucher avec une femme, mais avec la Femme. Il n’aurait pas rencontré un sujet désirant, mais une idée et il aurait donc voulu nouer, ultime paradoxe, une relation platonicienne. DSK serait un amant platonique attiré plus par l’idée de femme, par l’idéal féminin que par un être singulier. Cela aurait peut-être pu faciliter un éventuel passage à l’acte. Son tendon d’Achille n’aurait finalement été qu’un phallus d’argile.

À l’heure où nous écrivons, ces lignes ne peuvent s’énoncer qu’au conditionnel et nous nous gardons bien de hurler avec les loups comme l’a pourtant fait, sans retenue, le président des socialistes luxembourgeois dès lundi soir. Bornons-nous simplement à pointer l’étrange coïncidence qui veut nous faire croire à la grossesse de Carla Bruni et donc à un Sarkozy sérieux et bon père de famille, alors que son adversaire le plus redoutable se trouve pointé comme un chaud lapin, un monstre lubrique et un infemme mâle. Dieu reconnaîtra les chiens.

Yvan
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