Vivre au troisième millénaire

Hoverboard overdose

d'Lëtzebuerger Land vom 07.10.2016

Ce n’est pas encore cette année qu’est programmée la disparition du rayon « gadgets inutiles mais chers » des magasins. Il y a un signe qui ne trompe pas pour savoir quel est le nouveau succès dans ce marché sans doute juteux : on en a vu exposés en gros lots sur tous les stands de la Schueberfouer le mois dernier. En 2016, oubliez les drones, les smartwatches, les casques surdimensionnés ou les enceintes bluetooth en forme de bulldog. Non, cette année, ce qui manque à votre bonheur c’est un hoverboard. Egalement appelé gyroskate, gyropode ou balanceboard, voilà encore une invention high-tech dont personne n’avait besoin, mais qu’il faut absolument avoir (pour vous-même, votre conjoint ou vos enfants). Effectivement, plutôt que d’aller chez Léon s’offrir de nouvelles chaussures, dont les semelles vont bêtement s’user, pourquoi ne pas consacrer un budget légèrement supérieur à un gadget qui vous donnera l’impression de vivre au troisième millénaire ?

Cette espèce de planche articulée avec deux grosses roulettes latérales, vous permet d’avancer, reculer ou tourner en fonction de l’inclinaison de votre corps sur la machine. Vous vous penchez en avant, elle avance. Vous vous penchez en arrière, elle freine. Vous appuyez d’un côté, elle tourne de ce côté. Le génie de la chose c’est que vous avez les mains libres, par exemple pour tenir un parapluie ou chasser le Pokemon. Vous pensiez aller dans le futur, en fait vous retrouvez votre passé : ce petit appareil va vous donner l’air d’un adolescent attardé. Retrouvez l’émerveillement devant la technologie, l’apprentissage d’un nouveau mode de déplacement, la flemme de devoir marcher... En plus, ça tombe bien, il vous restait justement une prise à la cave sur laquelle n’était pas encore branché un chargeur de batterie.

En parlant de futur, d’ailleurs, cette prolifération de planches à roulettes électriques évoque deux images de science-fiction. D’un côté, on pourra partager la vision pessimiste du film d’animation Wall-E, dans lequel des humains obèses et impotents vivaient dans un gigantesque vaisseau spatial pour quitter une Terre envahie de déchets, en attendant des jours meilleurs, confortablement avachis dans des fauteuils se déplaçant tout seuls. Les optimistes, eux, se rappelleront sans doute 2015 tel qu’il était prévu dans Retour vers le futur, où Michael J. Fox se déplaçait sur une espèce de skate-board flottant dans l’air, film à l’origine du nom « Hoverboard ». Évidemment, la réalité est moins spectaculaire puisqu’on ne trouve pas encore dans le commerce de version planant au-dessus du sol. C’est un peu comme si l’on baptisait un aspirateur sans sac « Nimbus 2000 », en hommage aux balais magiques de Harry Potter. Ceci dit, tant mieux s’il reste encore quelques années avant d’être cernés par des engins filant à hauteur de nos organes vitaux.

En effet, si tout le monde s’équipe, il va falloir songer à annuler les travaux du tramway dans la capitale et, à la place, à élargir les trottoirs ou les pistes cyclables. Cela peut parfois devenir une aventure d’être piéton, par exemple avenue de la Liberté à 17 heures, entre les poussettes, les trottinettes, les arrêts de bus, les arbres, les stations de Vél’Oh!, les bicyclettes, les skates, les hoverboards et les solowheels. Pour l’instant, aucun permis n’est requis pour les usagers de ces nouveaux moyens de locomotion et leur vitesse réduite devrait éviter les accidents graves, d’autant qu’une certaine sélection économique limite le nombre des engins les plus rapides. Si les petites planches peuvent s’acheter pour quelques centaines d’euros, c’est une facture avoisinant les 2 000 euros qui attend les adeptes du Solowheel, et même 7 000 pour ceux qui sont séduits par le Segway.

Du coup, même s’il existe depuis une quinzaine d’années, ce dernier engin reste assez confidentiel. Il faut reconnaître qu’on croise surtout des randonneurs d’un jour, qui profitent des balades proposées par des loueurs. Ils se déplacent casqués, en groupe, et de façon plutôt prudente. Il faut dire qu’une légende urbaine voudrait que l’inventeur du gyropode soit mort au guidon d’un de ses propres appareils. En réalité, ce n’est pas lui, mais le millionnaire qui avait racheté sa société qui est tombé d’une falaise alors qu’il pilotait son engin personnel. Rétablir un semblant de sélection naturelle parmi l’espèce humaine, voici peut-être une vertu cachée de ces appareils !

Cyril B.
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