Festival Urban Art à Esch-sur-Alzette

Coloriage urbain

d'Lëtzebuerger Land vom 20.07.2018

Un scandale a éclaté dans le milieu des tagueurs et graffeurs eschois, amateurs ou confirmés. Une partie de la grande fresque murale s’étalant tout au long du boulevard J.F. Kennedy jusqu’à la gare, a récemment été effacée. C’est que cette œuvre commune et spontanée, qui offrait le meilleur comme le pire aux badauds, faisait partie du paysage urbain d’Esch-sur-Alzette. Elle s’était métamorphosée à travers les années et amenait un peu d’Amérique au Grand-Duché. Avec ses graffitis sous des rails et trains aériens, on se sentait presque dans le quartier du Bronx, du moins tel que fantasmé par les passionnés du mouvement hip-hop. Mais la gare a fait peau neuve, tout comme ses murs attenants. Cependant, et heureusement, la mise à nue n’a été que temporaire. En effet, à l’occasion de la cinquième édition du festival Urban Art, Sandra Biewers, tatoueuse de profession, a repeint une parcelle de ce fameux mur. Du noir et du blanc, de nombreux animaux dans des tenues bourgeoises et gothiques. Un zèbre, un rhinocéros, une chèvre ou un coq peuplent cette adresse incontournable. Huit autres lieux, toujours dans le centre de la future capitale européenne de la culture, ont été remis en valeur dans le cadre du festival de la culture urbaine, toujours organisé par la Kulturfabrik.

L’an dernier, le festival était encore transnational. De nombreuses fresques avaient été réalisées jusqu’à Longwy en France et Trèves en Allemagne. Saype, artiste suisse, instigateur du land art, avait même réalisé deux œuvres, colossales et temporaires, en pleine campagne luxembourgeoise. Cette année encore, le projet initial ne manquait pas d’ambition. De l’aveu même du coordinateur de l’évènement, Fred Entringer, une vingtaine de villes devaient à l’origine être partenaires. Cependant, une demande de financement européen est tombée à l’eau. Tout le festival s’est donc réorganisé et recentré. Ont résulté une dizaine de coloriages urbains dans les rues de la ville. Parmi les artistes sélectionnés, Spike, Daniel McLloyd, Alain Welter, Marc Pierrard, Helen Bur, Sandra Biewers ou encore Lisa Junius. Cette dernière s’est occupée d’une fraction de l’École Grand-Rue. Sur une large façade et jusqu’aux murettes dans la cour de récréation, on peut retrouver des formes blanches sur fond bleu. Des oiseaux et des corps féminins, un croissant de lune et des étoiles faussement simplistes, semblent virevolter dans tous les sens. C’est aérien et c’est peut-être ce que cette édition a offert de plus intéressant. Évidemment, les fresques ont été réalisées pour la postérité. Mais le festival, en tant que tel, c’est surtout déroulé le temps d’une soirée de clôture à la Kufa, avec exposants, concerts et autres performances.

Le samedi 14 Juillet au soir, la cour de la Kulturfabrik fourmille. Ce n’était pourtant pas gagné. À quelques kilomètres de là, entre Fond-de-Gras et Lasauvage, le festival Blues Express accueille les aficionados du genre tandis que de l’autre côté de la frontière, on célèbre la fête nationale française. Pourtant le public, curieux, s’est déplacé à la Kufa, certes pas en masse, mais assez pour faire passer certains évènements branchés de la capitale pour des kermesses d’école. Il s’en passe des choses dans le sud. Des amplificateurs diffusent de la musique techno à l’extérieur, on assiste aussi à la création de deux larges peintures en direct. Dans la galerie Terres Rouges, une exposition collective et éphémère, One shot, regroupe des pièces de tous les artistes participants. Cette exhibition « freestyle et rock’n’roll » rassemble, à l’instar du long mur boulevard JFK, de l’excellent et de l’insignifiant. Une photographie de Spike présente son atelier, des plaques géométriques et colorées, stockées contre des pots de peinture, sous un plafond décrépi. Un peu plus loin, dans un cadre noir, un dessin de Sandra Biewers, encore elle. Le portrait onirique d’une femme de profil, coiffée d’un voilier. Et lorsqu’on se penche, on s’aperçoit que ses cheveux sont en fait des lettres, des mots et peut-être des phrases. Des sculptures cubiques sont disposées au centre de la pièce. Enfin, sur un mur, des dizaines de dessins de super héros et autres personnages cartoonesques sont placardés. Des pots de crayons et de feutres invitent les plus jeunes à les colorier.

Dans la grande salle, les performances se suivent jusqu’à l’arrivée de Slizzer en compagnie de plusieurs autres comparses pour un set de human beatboxing. D’abord en trio, les artistes imitent des cornemuses puis se lancent dans de multiples improvisations franchement impressionnantes. Quelques soucis techniques ponctuent l’ensemble. Mais le cœur y est. Suit Maz, rappeur autochtone anglophone. L’audience n’est pas forcément nombreuse, plutôt parsemée en plus de cela. Toutefois, le jeune artiste se révèle être une bête de scène. Sur des instrumentales signées Cehashi, du moins pour les plus marquantes, Maz explose. Aux platines, David Galassi, co-fondateur de De Läb, chantre du mouvement hip-hop au Grand-Duché. Une partie du public, quelque peu éméchée, demande au rappeur d’ôter son t-shirt. Il ne cède pas et recadre avec amusement les agitateurs. Pour le dernier titre il descend de la scène et les rejoint pour chanter et danser avec eux. Un DJ-set conclut la soirée dans une gentille indifférence. Dehors, les verres sont consommés et les deux dernières fresques quasi terminées. On sympathise. Fred Entringer est ravi et rassuré. L’an dernier, la soirée alors organisée place du Brill, avait été victime d’averses. L’année 2022 est plus que jamais en ligne de mire.

Kévin Kroczek
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