Le rituel est immuable depuis des années lorsqu’on conduit jusqu’à la Kulturfabrik d’Esch-sur-Alzette : on tourne un peu avant ou un peu après selon le sens d’arrivée, on se gare bien peinard sur le parking du supermarché adjacent et on effectue avec entrain les derniers mètres qui nous séparent de l’entrée du site... Mais cette année, un changement de taille est visible avant même d’arriver devant les deux portails emblématiques des anciens abattoirs de la ville : une fresque géante de l’artiste espagnole Julieta XLF orne à présent le haut mur qui précède un des derniers bastions de fraicheur culturelle de la seconde ville du Grand-Duché. Et cela ne fait que commencer...
Si la « Kufa » semble parfois inchangée depuis 1998, date de sa réouverture suite à sa rénovation, elle sait pourtant d’année en année se ré-inventer et apporter toujours plus de pierres réjouissantes à un édifice qui ne manque déjà pas de charme. Véritable mini-ville dans la ville, elle a su combiner culture et lifestyle de manière intelligente au fil des années pour fidéliser sa clientèle locale et transfrontalière, malheureusement moins celle venant de la capitale...
Pourtant, chaque moment de la journée peut être le bon pour s’aventurer dans le complexe, la preuve par quatre – enfin par bien plus... Pourquoi ne pas commencer en fin de matinée par un petit tour dans l’atelier protégé Keramikfabrik et sa boutique d’objets artisanaux créés par les participants atteints de troubles autistiques, ou bien encore dans la galerie adjacente qui accueille régulièrement des expositions comme Sea Dream Avenue des photographes luxembourgeoises Mélanie Planchard et Martine Pinel qui y prendra place du 18 octobre au 3 novembre prochain ? Pour l’anecdote, la Galerie n’est utilisée que pendant les mois « chauds » – tout est relatif – car elle est trop onéreuse en chauffage l’hiver, ce qui ne colle pas de fait avec la charte écologique sur laquelle la Kufa s’est engagée.
La fringale de midi se fait ressentir ? Qu’à cela ne tienne, la brasserie du centre culturel, le K116, propose depuis toujours une cuisine efficace et savoureuse tantôt traditionnelle, tantôt empreinte d’influences asiatiques discrètes, à des prix tout à fait corrects. La bouchée à la reine vaut à elle seule le détour et les carpaccios ont la part belle. Joie non dissimulée lors de la lecture de l’onglet événementiel du menu : les soirée carpaccio à volonté qui ont fait les beaux lundis soirs de l’endroit il y a quelques années, sont de retour ! Le décor, lui aussi peu changé et ayant plutôt bien vieilli, permet midi comme soir de profiter du cadre unique de la salle, pièce maitresse à l’époque des abattoirs... Repu(e) et ragaillardi(e), il ne reste qu’à savourer son café sur le nouveau mobilier urbain construit pour l’édition 2018 du Kufa’s Urban Art Festival et jouxtant l’entrée, tout comme la sympathique Givebox créée par des lycéens à partir d’une ancienne cabine téléphonique et qui permet d’échanger bouquins et accessoires...
C’est d’ailleurs cet événement phare de la programmation de la Kulturfabrik qui peut servir de fil rouge pour une ballade digestive et instructive à travers les rues d’Esch, afin de découvrir les nouvelles fresques signées Sandra Biewer, Spike ou encore Helen Bur qui viennent compléter la collection existante, produite au fur et à mesure des éditions précédentes et comptant aujourd’hui près de quarante œuvres réparties dans toute la ville, dont une bonne dizaine – comme celle, monumentale, de l’artiste français Mantra, dans l’enceinte même du centre culturel. Alors que d’habitude le festival étend ses ailes dans d’autres villes du sud et même jusqu’à Villerupt, cette année les productions se sont recentrées sur la ville d’Esch-sur-Alzette, suite à la non-obtention d’une bourse européenne : « ce n’est rien de grave, on a simplement décidé de se concentrer sur notre ville d’origine pour une fois » déclare à ce propos Fatima Rougi, chargée de communication au sein de l’équipe Kufa.
Si l’Urban Art Festival est actuellement un des événements les plus identitaires de son organisateur, il est loin d’être le seul ! En effet, le festival international Clowns in progress fêtera cette année, du 2 au 13 octobre – sa huitième édition et rassemble toutes les composantes qui tiennent au cœur de la Kufa : des arts du spectacle bien sûr, mais aussi de la musique, de transfert de savoir via des conférences et surtout beaucoup de pédagogie avec un ensemble d’ateliers multi-générationnels. L’aspect pédagogique semble en effet faire d’office partie intégrante de toute manifestation majeure du centre culturel co-dirigé par Serge Basso et René Penning. Un étage entier divisé en Lino Gris, Lino Bleu et Lino Jaune – du nom éponyme de leur revêtement de sol respectif – est d’ailleurs dédié à la multitude d’ateliers qui y est proposée tout au long de l’année.
Pour la fin d’après-midi ou le début de soirée, le choix est presque cornélien : se poser tranquillement au Ratelach ou dans la salle obscure du Kinosch ? Peu d’erreur possible, peu importe le choix ! Dans le premier cas, le « nouveau » bar de la Kulturfabrik, qui s’est offert une seconde jeunesse récemment, est un endroit de choix pour l’apéritif, dans son intérieur cosy ou sur sa terrasse verdoyante remplie de mobilier construit ad hoc et presque intégralement en bois. Si le soleil est de la partie, impossible de résister à la jolie pergola et à ses petites tables de brasserie... Quant à la jardinière où pousse une belle menthe fraîche, elle ne ment pas : le mojito est religion ici ! Et réalisé avec la cueillette du jour de surcroit !
En ce qui concerne le Kinosch, si la petite salle de cinéma de la Kufa – d’une capacité de 72 places – a été longtemps laissée à un relatif abandon, elle aussi reprend du poil de la bête avec l’achat d’un nouveau projecteur et des partenariats solides. En outre, le Kinosch reste un partenaire solide non seulement du Festival du Film Italien de Villerupt avec en moyenne quatre films prévus par jour pour 2018 mais aussi du Gaymat avec la projection de plusieurs films et/ou documentaires à thématique LGBTQ pendant la semaine qui précède la marche des fiertés à Esch-sur-Alzette.
Il est 21 heures à la Kufa et si vous pensez qu’il est temps de rentrer, c’est que vous connaissez mal ces irréductibles Eschois... Difficile en effet de ne pas se laisser tenter par un dernier concert de rap electro, de métal norvégien, une pièce de théâtre post-apocalyptique ou un spectacle d’humour noir dans la Grande Salle ou bien dans sa petite sœur attenante. Car c’est à la nuit tombée que la Kulturfabrik aime revêtir ses atours les plus transgressifs et rock’n’roll pour accueillir comme il se doit les visiteurs du soir, qui rentrent à jusqu’à 850 dans la grande salle de spectacle. La petite salle sert aussi de bar séparé, notamment lors d’événements nécessitant un certain calme. Fatima Rougi prend plaisir à décrire ces espaces : « Les deux salles sont vraiment représentatives de l’identité du lieu, avec les crochets de boucher et les poulies encore apparentes au plafond. L’espace est modulable et nous permet de faire plein de choses différents. La petite salle est vraiment sympa, on aimerait qu’elle soit encore plus exploitée ! ».
Le spectacle est fini, tout le monde sort et se retrouve sur le parvis : les gens du Ratelach sont là, ceux de la séance de 20 heures, ceux du concert qui leur en a mis plein les oreilles pour leur plus grand plaisir. Et c’est là que réside de dernier atout de la Kulturfabrik : savoir rassembler autour d’un bon cocktail ou d’une bière bien fraîche une horde de métalleux, une groupe de militants queer, un couple d’ados et une mamie festive venue passer un peu de temps avec sa petite fille... La chaleur du sud ?