1982, en pleine guerre civile au Liban, un metteur en scène se lance dans le pari fou de monter Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth avec des acteurs et actrices issus des différentes communautés : une Antigone palestinienne, un Hémon druze, un Créon chrétien maronite, des gardes chiites, une Ismène arménienne… C’est l’utopie dont son ami Samuel Akounis a rêvé. Mourant, il doit rester à Paris en confiant les rênes à Georges. Le projet décrit dans Le Quatrième Mur, film de David Oelhoffen d’après le roman de Sorj Chalandon (2013) est aussi naïf que nécessaire : rien de plus futile que de monter une pièce de théâtre dans un pays en guerre, rien de plus indispensable que de faire jouer ensemble des acteurs issus de communautés qui se haïssent.
C’est d’autant plus beau que c’est impossible et c’est tout le sel de la tragédie, comme l’explique Georges (Laurent Lafitte, très solide) à la troupe. Le drame, c’est quand tout le monde pense que ça se passe mal, mais que ça peut changer, alors que dans la tragédie, tout est écrit et il n’y a aucune issue pour renverser la situation. Le film commençant par la fin, le spectateur sait déjà que les personnages pensent vivre un drame mais qu’ils sont plongés dans une tragédie.
Après ces premières minutes douloureuses, on suit Georges dans son périple pour rassembler sa troupe et mener les répétitions de la pièce. De check-points très armés en négociations simplistes, Georges réunit sa troupe, selon les indications de son ami et mentor. Un peu metteur en scène, un peu militant d’extrême gauche et carrément dépassé par la réalité de la guerre, Georges fait penser tantôt à un Tintin au Liban, tantôt à une figure d’autorité quasi coloniale qui apporte la bonne parole du vivre ensemble (même si cette expression est tout à fait anachronique par rapport à l’histoire du film).
Ces moments sont l’occasion de planter le décor de cette guerre fratricide à laquelle personne ne comprend rien : « C’est le Liban qui tire sur le Liban », explique Marwan (Simon Abkarian, généreux), le guide et chauffeur du metteur en scène. À cette partie, rythmée par les répétitions, qui deviennent vite répétitives, succède une seconde, plus dramatique quand survient l’horreur de l’attaque du camp palestinien de Chatila où vit Imane (Manal Issa, une découverte), la comédienne qui joue Antigone et dont (forcément) Georges est tombé amoureux.
Coproduction luxembourgeoise (Amour fou), le film a été en grande partie tourné au Liban, en 2022, soit exactement quarante ans après l’horreur des massacres de Sabra et Chatila. Un moment clé dans le film, un tournant narratif après lequel plus rien n’est possible. Surtout pas cette illusion que l’art pourrait mettre la guerre entre parenthèse.
David Oelhoffen joue en permanence de la balance entre la réalité et l’illusion : le quotidien d’une ville en feu et le théâtre comme refuge, la scène des répétitions et les images filmées des castings, Imane en chair et Antigone en mots. Un ressort qui s’use vite et qui éloigne le spectateur de ses émotions. La mise en scène, souvent démonstrative, ne parvient pas à briser ce fameux quatrième mur et nous laisse étranger à ce qui se passe à l’écran.