Musique classique

Superlatif  !

d'Lëtzebuerger Land du 10.09.2021

C’est de manière on ne peut plus prestigieuse que, le 4 septembre dernier, le mythique Philharmonique de Vienne, l’une des meilleures phalanges de la planète, inaugura, sur les chapeaux de roue, la saison nouvelle de la Philharmonie, avec, dans le coffre de la Rolls autrichienne, pas moins de deux chefs-d’œuvre immarcescibles de la musique pérenne. À la baguette, le Suédois Herbert Blomstedt, l’un de leurs chefs de prédilection, un maestro dont la réputation n’est plus à faire, qui, à 94 printemps, ne cesse de captiver les auditeurs par la verdeur de ses interprétations (preuve que les ans n’ont guère de prise sur le talent), et qui déclare « rester jeune grâce à la musique ». Sous sa direction, les Viennois, musiciens hors norme, attentifs, disciplinés, instrumentistes semblant tous solistes, réalisent un travail d’orfèvre, où la fougue alterne avec une poésie teintée de mélancolie ou encore avec une exquise délicatesse. Le résultat est une lecture on ne peut plus « classieuse », admirablement maîtrisée, qui s’interdit tout effet superfétatoire et qui se distingue par la science de la couleur orchestrale et celle d’une excellente architecture sonore.

Dans l’Inachevée, poignante quintessence du génie de Schubert (par amour du paradoxe, on pourrait même dire qu’elle est la plus aboutie de ses symphonies), on se délecte de ces fameuses « longueurs » dont nul n’ignore depuis Schumann qu’elles sont « divines » (elles sont, en effet, comme autant de méditations somnambulesques sur le fil de la transcendance). On admire non seulement la spécificité de la pâte sonore du pur-sang doté d’une culture musicale à nulle autre pareille qu’est le Vienne (lequel joue ici dans son arbre généalogique, tant la langue du doux Franz est quelque part sa langue maternelle), mais également la plasticité et compacité incandescentes de ses cordes, avec, notamment, des violons superlatifs, et celles de ses vents rutilants, fondus dans la masse. Le tout est dirigé avec précision, souplesse, élégance et sens du détail. Tendues comme un arc, les tensions sont resserrées à la faveur d’un relief instrumental extraordinaire et révélées dans une tradition typiquement germanique, soucieuse de l’impact des dynamiques. Tout un art. Du grand art, à vrai dire, pour une grande œuvre. Si cela ne vous arrache pas des larmes…

L’autre pièce maîtresse de ce concert est la Romantique de Bruckner. Le « Maître de Linz » continue de faire figure de mal-aimé. Pourtant, paisible provincial enraciné dans une foi si inébranlable qu’elle lui a valu le surnom de « Ménestrel de Dieu », l’héritier de Schubert n’a rien pour rebuter. Et ses neuf symphonies, dont il dédia la dernière (inachevée) – ni plus ni moins – à Dieu, lui assurent, à elles seules, une place de choix au Parnasse. À commencer par la Quatrième, cathédrale médiévale, dont les vastes arceaux défient la pesanteur, et où l’on assiste à une descente au plus profond de l’être humain. Sous la conduite avisée de Blomstedt, les Viennois, qui jouent, là encore, comme « à domicile », en donnent une interprétation non seulement idoine, mais surtout généreuse et chaleureuse à souhait. « Je veux bien grimper au Ciel », plaisantait Stravinski à propos des symphonies de l’organiste de Saint-Florian, « mais pas dans un train de marchandises ! » Avec Herbert Blomstedt et les Wiener Philharmoniker, le tortillard se mue en TGV ! Pour le plus grand agrément du voyageur mélomane.

José Voss
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