Édito

J’irai cracher sur vos tombes

d'Lëtzebuerger Land vom 17.05.2019

Que la chanson FCK LXB de Tun Tonnar aka Turnup Tun soit bonne ou mauvaise est sans importance. Tout comme lui faire un procès d’intention pour ses liens familiaux avec son chanteur de père est la mauvaise bataille, L’acquittement du jeune chanteur que la treizième chambre du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg a prononcé mercredi dernier, 8 mai, dans le procès pour injure qu’avaient intenté Fred Keup, Joe Thein et Dan Schmitz à son encontre est une bonne nouvelle non seulement pour Tonnar lui-même, mais, au-delà, pour tous les artistes, voire toute la société luxembourgeoise. La liberté d’une société se mesure au respect de la liberté d’expression.

L’argumentaire du jugement tombe sous le sens : Keup, Thein et Schmitz sont des personnes publiques, les deux premiers pour leur activité politique (ADR/Wee2050 pour le premier, Déi Konservativ pour le second), Schmitz parce que « en publiant d’innombrables commentaires sur divers thèmes sur les réseaux sociaux, [il] est sorti volontairement de sa sphère privée ». Et le chanteur a voulu, par sa chanson, qui a recours aux codes volontairement grossiers du rap, s’en prend à leurs idéologies politiques et opinions personnelles. La liberté d’expression, érigée en fondement essentiel de la société démocratique par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, concerne aussi la satire et l’outrance de l’artiste. Donc les juridictions luxembourgeoises ont pleinement joué leur rôle et ancré une évidence dans un jugement de plus, qui s’ajoutera à la jurisprudence établie dans des affaires de journalisme et de liberté artistique. Circulez, il n’y a rien à voir ?

L’affaire Turnup Tun, dont l’artiste célèbre les retombées en popularité sur les réseaux sociaux (c’est de bonne guerre), est plus inquiétante si on la met en perspective de toutes ces histoires d’atteinte à la liberté d’expression des artistes des vingt dernières années et qui démontre le conservatisme et la frilosité d’une société que le gouvernement voudrait faire entrer à l’ère du space mining et des fintechs : La consternation provoquée par le danseur nu d’une affiche promotionnelle (de Plakert) et la Nana de Niki de Saint-Phalle cachée en 1995, l’affaire d’État provoquée par la Gëlle Fra enceinte Lady Rosa of Luxembourg de Sanja Ivekovic en 2001, les nombreux procès contre la presse satirique ou les procès intentés à Richtung 22 pour le moindre trait de craie sur le Parvis de la Philharmonie ou la moindre sculpture en carton-pâte fustigeant le double discours du directeur de la CSSF.

Pourtant, cette société aurait tout à gagner à écouter les artistes indépendants. Ceux qui n’attendent pas d’abord une aide du Film Fund, du Focuna, de l’Œuvre ou du ministère de la Culture avant d’écrire la première ligne d’un texte ou de dessiner le premier trait d’un storyboard. C’est pour cela que la chanson Féck de Parquet – Mir si fir Laminat que les joyeusemen transgressifs Richtung22 ont publiée en ligne en réaction à l’affaire Turnup Tun est salutaire : elle s’en prend à l’extrême-droite, à son idéologie et à ses méthodes de vouloir faire taire leurs critiques en les intimidant avec les moyens de la justice. Après la fin du journal satirique Feierkrop, l’art libre et impertinent est de dernier échappatoire d’une idéologie dominante suffocante, entre SUV, rulings, Schueberfouer, deuil national et ce petit racisme quotidien que fustigea Tonnar. Encore une évidence.

josée hansen
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